jeudi 22 novembre 2012

LE LATIN CHERCHE SES MOTS


Le latin, une langue morte ? Pas vraiment, car au Vatican, le pape Ratzinger veille à entretenir la flamme. Réputé pour sa ligne « traditionaliste », voire conservatrice, Benoît XVI vient de lancer un vaste programme de réhabilitation de la sacro-sainte langue.
Il faut dire que l'affaire est d'importance car le latin est en perte de vitesse. Enseignée jadis aux âmes bien nées, modèle de sérieux et de poésie, la langue de Cicéron n'a aujourd'hui plus la côte. À l'école, dans les universités, on lui préfère le mandarin ou l'arabe, des langues bien vivantes, elles, aux applications réelles et concrètes.
Pour comprendre ce déclin relatif, il faut revenir à 1965 et la promulgation de Vatican II. Cette année là, l'Église, dans un souci de modernisation, abandonne la messe en latin au profit de la langue natale de ses paroissiens.Pour beaucoup de traditionalistes, c'est le début de la fin.

Pour autant, depuis des siècles, le latin est la langue officielle du Saint-Siège. Textes, décrets, notes internes et publications en tout genre sont libellés dans la langue de Jules César. Même les quelques distributeurs automatiques de billets de banque en service au Vatican donnent leurs instructions en latin...
Alors comment faire pour tenir un langage moderne en disposant d'un vocabulaire antique ? Ou plus prosaïquement, comment aborder des thèmes comme le mariage gay, les nano technologies, le binge drinking ou les énergies renouvelables dans un rapport en latin alors que ces mêmes mots n'existent pas ?
En 2009, alors qu'il doit rédiger une encyclique (lettre adressée aux évêques du monde et destinée à l'ensemble des croyants) sur la crise économique et financière, Benoît XVI constate que le latin, dans son vocabulaire, affiche un retard considérable sur la société. Il décide donc de créer une douzième académie pontificale, l'Académie de latinité, qui vient officiellement de voir le jour, le 10 novembre 2012.

Le dico moderne compte près de 15 000 mots qui vont d’internet (inter rete) à mini-jupe (tunicula minima) en passant par flirt (amor levis) et tire-bouchon (extraculum).

Elle remplace de fait la fondation Latinitas, fondée par Paul VI en 1976. Jusqu'à présent, cette fondation rassemblait annuellement une commission d'experts qui avait la lourde tâche d'élaborer les néologismes du latin « de tous les jours » et de les éditer périodiquement sous la forme d'un lexique. Le dernier en date, sorti en 2003, compte près de 15 000 mots qui vont d’internet (inter rete) à mini-jupe (tunicula minima) en passant par flirt (amor levis) et tire-bouchon (extraculum).
À l'Académie de latinité, désormais, d'inventer le latin branché. Elle promet de revigorer la langue, de la calquer au plus près sur notre époque et de réactualiser fréquemment son dictionnaire.  

Vaste programme car pour fabriquer un mot, il existait jusqu'ici, deux façons de faire, plus ou moins discutables. La première consistait à prendre le mot tel quel et à le « latiniser » en apparence. Exemple, un punk se dit punkianae catervae assecia ou bien un ordinateur devient, instrumentum computarium, Dans les deux cas, la racine du mot est anglo-saxonne, punk et computer. La seconde voie, plus commune, revient à agréger plusieurs mots d'origine latine pour n'en désigner qu'un seul.
Ainsi, un blue jean se traduit bracae lintenae caeruleae (pantalon en coton bleu) ou un enfant gâté, puer indulgentia depravatus (enfant perverti par l'indulgence).

Avec l'Académie de latinité, le Pape entend remettre bon ordre dans ce latin moderne, qui semble chercher ses mots. La Civilta Cattolica, journal influent des Jésuites, a relevé de nombreuses invraisemblances dans l'attribution de ces nouvelles définitions. Ainsi, pourquoi utiliser systématiquement deux, trois, voire quatre mots pour en traduire un ? Pourquoi, également, passer outre la latinité d'un mot pour en fabriquer un autre ?
Exemple, si je prends le mot « référendum », mot d'origine latine, la logique voudrait que je le traduise par referendum (sans accents) en latin moderne. Eh bien, non, trop simple. Référendum devient « ad populum provocacio ». De quoi en perdre son latin...

pour Translateo

jeudi 1 novembre 2012

PHRASELATOR, LA MACHINE DE GUERRE

Sortie sud de Kandahar, Afghanistan, 15H30. Un véhicule de marque Mercedes s'avance en cahotant jusqu'au check point. Un Marine, fusil d'assaut M16 en bandoulière, adresse un signe de tête au conducteur à travers la vitre baissée. Coup d’œil dans l'habitacle, rien de suspect. Sans dire un mot, le militaire brandit un boîtier noir qui ressemble à un talkie-walkie. À l'aide d'un stylet, il presse un bouton, 
« Coupez le contact, sortez calmement du véhicule ! ». Pré-enregistrés en format MP3, venus des petits hauts parleurs, les ordres sont donnés en pachto, le dialecte local.
Depuis son invasion de l'Irak en 2001, l'armée américaine s'est équipée d'une machine appelée Phraselator, un traducteur de phrases, qui permet aux hommes de troupes de « communiquer » avec les civils autochtones. 

L'idée a germé dix ans plus tôt dans l'esprit d'un capitaine de la Navy lors de l'opération Desert Storm, toujours en Irak. Basé à l'arrière du front, à Bahreïn, le chirurgien Lee Morin, enregistre des phrases en arabe sur son ordinateur portable pour gagner du temps avec ses patients. « Où avez‑vous mal ? », « Souffrez vous d'allergie ? », « Connaissez-vous votre groupe sanguin ? ». Il peut ainsi poser des questions simples et vitales avant de conduire un blessé au bloc opératoire.

La guerre terminée, Morin raconte son expérience à un ingénieur, Ace Sarich, à qui il propose de développer un appareil capable de traduire des phrases en anglais dans une multitude de langues différentes.
Sarich contacte la DARPA (Defense Advanced Research Project Agency), un service du Département de la Défense, chargé de la recherche et des innovations, et obtient rapidement des fonds pour mener à bien le projet.

Même si on peut lui reprocher sa rudesse et son manque de tact, l'appareil permet au moins de gérer une situation de crise.

La traduction est la bête noire du Pentagone. Les conflits en Irak et en Afghanistan ont montré que l'emploi d'interprètes sur le terrain est délicat voire impossible. Les candidats locaux, considérés comme peu fiables et particulièrement exposés, se font rares.
Face à un ennemi noyé dans la masse, une population hostile, des attaques-suicides, le contact des troupes avec les civils est forcément tendu. D'où la tentation de l'automatiser. Le Phraselator y participe. Même si on peut lui reprocher sa rudesse et son manque de tact. (« Tout le monde se tait ! », « Les mains contre le mur !», « Nous allons vous fouiller ! », sont des ordres couramment donnés lors de patrouilles), l'appareil permet au moins de gérer une situation de crise.

En 2004, après le passage du tsunami dans le Sud Est Asiatique, il a joué un rôle important dans l'organisation des secours en proposant 2 000 phrases différentes en hindi, thaï, indonésien, et sinhala permettant d'obtenir rapidement des réponses à des questions comme « Quelqu'un a t-il testé cette eau ?», « Y a t-il des personnes manquantes dans votre famille ? » ou « Avez-vous besoin de médicaments ?». Aux États-Unis, la police et certains hôpitaux de Los Angeles l'utilisent à destination des latinos en détresse, souvent illégaux, qui ne comprennent pas un mot d'anglais.

Mais si le Phraselator peut se rendre utile, il a malgré tout ses limites et notamment en zone de conflit. La DARPA expérimente actuellement, un nouveau système, appelé LingoLink, qui permet cette fois de dialoguer avec une personne sans pour autant parler ou comprendre sa langue. Le militaire dispose d'un smartphone relié à un poste de commandement où un interprète, un vrai, traduit les propos de son interlocuteur dans une oreillette.
Pour bien comprendre, revenons au check point à la sortie sud de Kandahar en Afghanistan, la Mercedes stoppe devant les sacs de sable. Le Marine s'avance, il brandit un smartphone au conducteur dont la vitre est baissée. « D'où venez-vous ? » demande une voix en pachto dans l'appareil, « du centre ville » répond le conducteur dans la même langue. Dans son oreillette, le Marine entend « du centre ville » en anglais. Ainsi peut s'engager un dialogue à trois avec traduction simultanée, un système plus souple quoique très contraignant.

L'idéal, bien sûr, serait une machine qui fasse office de traducteur universel, un peu comme dans Star Treck, un Graal auquel le Pentagone n'a toujours pas renoncé. Alors que Google semble être arrivé au summum de ce qu'il est possible de faire en matière de traduction automatique, la DARPA dispose, en 2012, d'un budget de 15 millions de dollars pour développer un prototype qui répond au doux nom de RATS, (Robust Automatic Translation of Speech). La DARPA le jure, le RATS devrait être en mesure de traduire en temps réel 98 % des mots en arabe, farsi, pachto, dari et ourdou, et ce quelle que soit la qualité du signal émis. Il devrait, en outre, être équipé d'un système de reconnaissance vocale, permettant ainsi de savoir si votre interlocuteur figure sur une liste noire.

Mais de l'avis même des spécialistes, ce RATS, aussi robuste soit-il, n'a que peu de chance d'aboutir. Rien ne pourra remplacer un traducteur en chair et en os pour donner un sens aux hurlements d'un villageois cédant à la panique...


lundi 22 octobre 2012

Tolède la capitale

Tolède. Géographiquement, la ville se situe pile au centre de la péninsule ibérique. Un centre de gravité intellectuel au regard de l'Histoire avec un grand H.
En effet, c'est ici qu’à partir du 12ème siècle, les traducteurs juifs, musulmans et chrétiens on dressé des ponts entre les civilisations. C'est là qu’en termes de savoir, l'Occident latin établit la jonction avec l'Orient grec.

Sans traducteurs, il n'est point de connaissances qui circulent.

Pour comprendre, revenons en 1085, en Castille, à Tolède précisément. Les Berbères musulmans occupent la ville depuis plus de trois siècles lorsqu'ils en sont chassés par les croisés du roi chrétien Alphonse VI.  L'Espagne, qui ne s'appelle pas encore ainsi, organise sa Reconquête, se réapproprie ses territoires, mais pas seulement. Elle entend également se doter des connaissances dont disposent les Arabes dans des domaines aussi vastes que l'algèbre, la géométrie, les mathématiques, la botanique, la météorologie, la médecine, la philosophie, les arts et la théologie. Tout ce savoir est consigné dans des parchemins, des livres, des codex laissés en vrac par l'occupant, dans les maisons, les mosquées, les bibliothèques.

Forts de leurs érudits juifs arabophones, de leurs mozarabes (chrétiens de langue arabe) et de leurs intellectuels issus de la noblesse locale et du haut clergé, les castillans se lancent dans une  vaste opération de « capture » des connaissances.  Il faut traduire pour combler au plus vite le fossé qui les sépare des musulmans depuis près de deux siècles.
En effet, les Arabes ont ouvert depuis longtemps des Maisons de la Sagesse, dont la plus illustre est celle de Bagdad, créée en 812 autour de l'imposante collection de livres du Calife Haroun al-Rachid.
Dans ces collèges, astronomes, penseurs, traducteurs, mathématiciens et théologiens de tout bord se regroupent. Chacun profite des connaissances de l'autre pour approfondir sa spécialité.

Le Savoir, pour quoi faire puisque Dieu, Jésus et le Saint-Esprit sont à l'origine de tout, à commencer par notre propre existence ?

Dans l'histoire de l'Humanité, les Arabes sont les premiers à regrouper le savoir de plusieurs civilisations. Pour eux, le socle de ce savoir est constitué des textes de la Grèce antique. Ils ne les ont pas seulement traduits, ils les ont également étudiés, commentés, enrichis. Au 12ème siècle, si l'on excepte l'Empire byzantin, ils possèdent une avance considérable sur l'Occident dans la plupart des disciplines scientifiques. Cette ouverture au monde s'oppose à l'obscurantisme chrétien. En Occident, l'Eglise a accaparé le savoir, qu'elle confine dans les monastères en se gardant bien de le diffuser. A quoi bon puisque Dieu, Jésus et le Saint-Esprit sont à l'origine de tout, à commencer par notre propre existence ?

En 1135, l'archevêque de Tolède, le Français Raymond de Toulouse, est chargé de faire traduire les textes scientifiques arabes en latin. Pour cela, il nomme un traducteur en chef,  l'archidiacre Dominique Gundisalvi, un Français lui aussi, qui, problème, ne parle pas l'arabe... Gundisalvi loue alors les services de « traducteurs adjoints » qui se composent d'intellectuels de toutes origines et de toutes confessions. Parmi les plus fameux, on trouve le mathématicien espagnol Jean de Séville, grâce à qui l'Occident accède au zéro et aux maths modernes. Un peu plus tard,  Gerardo di Cremona, venu d'Italie, apprend l'arabe pour traduire de nombreux ouvrages, dont le fameux Almageste, traité fondamental d'astronomie du savant grec Ptolémée ainsi que plusieurs œuvres majeures du philosophe Aristote comme la Physique ou Du ciel et du monde. 
Ce que certains historiens vont appeler à tort « L'école des traducteurs de Tolède » désigne en fait un élan généralisé de la traduction de l'arabe vers le latin classique dans tout le nord de la péninsule ibérique. Cet élan se concentre à Tolède, mais pas seulement. On traduit beaucoup en Galice, à Saragosse, à Barcelone.

Le plus souvent, les textes en arabe sont d'abord traduits en latin populaire, le patois local, avant d'être transposés en latin classique, qui devient implicitement la norme des textes scientifiques occidentaux. Au 13ème siècle, toujours à Tolède, le roi Alphonse X, érudit, profite de cette « vague » de traduction pour « unifier »  le stade intermédiaire entre l'arabe et le latin classique. Il intervient lui-même dans les corrections de textes et pose les bases de ce qui va devenir une langue moderne, parlée aujourd'hui par un demi-milliard d'êtres humains : le castillan, autrement dit l'espagnol...

pour Translateo.

lundi 24 septembre 2012

AU CASE PAR CASE



Toutes celles et tous ceux qui ont un jour joué sur leur ordinateur, ou bien participé à un duel sur console savent qu'un jeu vidéo réserve souvent des surprises de langage.
La particularité du vidéo game est d'être un produit mondial. Il a été pensé, conçu pour être vendu, consommé partout sur la planète. Mais si Lara Croft, Mario Bros et autres Lapins Crétins ont leurs entrées sur tous les continents, sous toutes les latitudes, ils le doivent à des traducteurs d'un genre particulier, des localisateurs, des êtres humains capables d'adapter un jeu à chacune des langues auxquelles il est destiné.
La localisation linguistique, puisque c'est son nom, est « le transfert et l'adaptation culturelle d'un produit à une culture cible ».
Derrière ce charabia marketing, se cachent une réalité brute, celle de la compréhension et de l'attrait du jeu dont le principe de base est de s'adresser directement à celui qui tient la manette, le pad, pour les connaisseurs.
Ainsi, tout doit être traduit à commencer par les commandes. Dans Super Mario Galaxy, on vous demande de « souffler sur la bulle en appuyant sur A » pour déplacer le petit moustachu.
Ensuite, grâce au texte, vous apprenez ce que l'on attend de vous.
Ainsi, dans Avatar, the game, votre première mission consiste à « récupérer un arc ». Sans traduction, votre jeu n'est rien.
Il en va de même pour le nom des joueurs, de la monnaie, de la présentation de l'heure, de la date, des onomatopées, de l'argot, des expressions populaires, jusqu'aux préfixes des numéros de téléphone qui varient selon que vous soyez Turc, Finlandais ou Indien...
Un jeu vidéo est truffé de dialogues, de tutoriels, de messages en tout genre. Ce sont eux qui donnent le ton du scénario. Le texte, autant que les images, participe à l'univers du jeu. À condition, bien sûr, qu'il soit « localisé ».
Pour cela, les studios s'adressent d'abord à des traducteurs « insiders », des jeunes gens initiés, rodés au vocabulaire du genre et généralement payés au mot (en France, sur la base de 0,05 euro l'unité).

Les gamers le savent, la plupart des « tableaux cachés », ceux que les plus malins parviennent à percer, restent dans leur anglais d'origine. Faute de temps pour les traducteurs.

Pour aller plus vite, le fichier de chaque langue est scindé en plusieurs blocs et envoyé à plusieurs « insiders » en même temps. Chacun reçoit donc une partie à transcrire sous la forme d'un fichier Excel. Sans même posséder le jeu, il remplit des cases de texte, des modules calibrés desquels il ne faut surtout pas dépasser sous peine de provoquer des bugs inextricables.
Au terme de ce premier dégraissage, les fichiers sont « posés » sur le jeu par les développeurs, qui eux, bien évidemment, disposent du jeu, mais, paradoxe, n'interviennent pas sur les textes.
Ensuite, le localisateur entre en scène. À lui de finaliser l'ensemble.

Il corrige les fautes d'orthographe et de syntaxe, il gomme les phrases maladroites ou insultantes, il s'assure que les caractères spéciaux sont correctement utilisés, que la lecture s'effectue dans le bon sens (gauche-droite ou droite gauche selon qu'il s'agisse du portugais ou du chinois), bref que rien ne nuise au plaisir du joueur.
Si le travail des traducteurs en amont a été bâclé, la récupération est plus compliquée. L'emploi de plusieurs traducteurs ne lui facilite pas non plus la tâche car il faut homogénéiser le rendu, trouver le ton adéquat.
Mais l'ennemi numéro 1 du localisateur est le temps. Les lois du marketing sont impitoyables. La sortie d'un jeu est généralement synchronisée, entendez par là qu'elle se fait partout dans le monde à la même date. Il faut donc absolument être prêt le jour J et tant pis si le travail n'est pas terminé. Résultat, les boulettes sont nombreuses et tout n'est pas traduit. Les gamers le savent, la plupart des « tableaux cachés », ceux que les plus malins parviennent à percer, restent dans leur anglais d'origine. Faute de temps. Pour l'anecdote, les jeux vidéo en version allemande comportent plus de bugs que la moyenne. Avec des phrases plus longues, la langue de Goethe ne rentre pas toujours dans les cases prévues par les développeurs...


mercredi 19 septembre 2012

LA MAUVAISE FOI DU MOT A MOT



Ils ont rempli l'Olympia, les téléspectateurs les ont découverts dans Le Plus Grand Cabaret du Monde, ils font salle comble à la Pépinière à Paris depuis la rentrée, la presse les encense, voici les Tistics, une troupe de 12 comédiens – chanteurs.

Leur particularité ? Chanter – jouer, les plus grands tubes de la pop anglo-saxonne en... français dans une traduction littérale volontairement brute et décalée.
Les Franglaises, leur spectacle, ressemble à un blind test géant. Le chauffeur de salle commence par énoncer des phrases en français. Exemple : « Sur une autoroute sombre et déserte, vent frais dans mes cheveux ». Hotel California ! s'exclame un spectateur dans la salle. Bonne réponse. Les Tistics entonnent alors le célèbre tube des Eagles, des Aigles, dans une version en français traduite mot à mot.

Bien sûr, ils y mettent le ton, ils jouent, se gaussent, se trémoussent sur les mots pour finalement leur faire dire ce qu'ils veulent...
L'effet est saisissant. C'est frais, drôle et poétique. Mais pas seulement.
L'exercice renvoie à un genre particulier, celui de la traduction littérale. Une traduction primaire, en quelque sorte, qui eut ses défenseurs lorsque la traduction était une discipline en devenir, que les œuvres littéraires commencèrent à être adaptées dans d'autres langues. Au début du 19ème siècle, par exemple, Chateaubriand traduit le Paradis Perdu du poète anglais John Milton et vante dans sa préface les bienfaits de la traduction littérale qui lui paraît toujours la meilleure. D'après lui, c'est même « la perfection du genre à condition d'en ôter le côté sauvage ». En clair, il suffit de faire du mot à mot et d'en assurer le liant. L'idée reçue, à l'époque, est qu'en collant au plus près au texte, le traducteur ne commettra pas d'erreurs.

Le texte des Tistics est une « supercherie ». Chanté par leur soin, traduit en littéral, il paraît ridicule, alors qu'il a une dimension littéraire

La priorité est d'être conforme à l'original, sans adaptation, dans un souci d'honnêteté, d'exactitude et de sécurité.
Or, nous savons aujourd'hui, qu'une traduction trop rigide est une traduction inadaptée.
Car un texte n'est rien de moins que de la pensée structurée. Traduire, c'est sacrifier la structure pour sauvegarder la pensée.
Les Tistics, eux, s'en amusent. Ils trahissent la pensée en calquant la structure. C'est ce qui donne ce côté comique, voire absurde aux paroles. En jetant un œil bilingue aux lyrics d'Hotel California, justement, on constate immédiatement que le texte des Tistics est une « supercherie ». Chanté par leur soin, traduit mot à mot, il paraît ridicule. Replacé dans un contexte d’œuvre, en appliquant les règles élémentaires de traduction, il affiche une dimension littéraire.
Alors pourquoi aimons-nous tant une chanson alors que nous n'en comprenons pas les paroles ?
Est-ce juste une histoire de rythmique et de mélodie, de timbre de voix ? Lorsque les Platters chantent Only You, on devine aisément qu'il s'agit d'amour et de tendresse. Seulement toi, sur le même tempo paraît soudain moins glamour. En français, on dira plutôt Rien que toi, (Nothing but you). Ce qui se formule dans une langue, ne se dit pas forcément avec les mêmes mots dans une autre.
Et puis, il y a la sonorité des mots. Dans une chanson, elle influe considérablement. Dans le cas d'un tube en anglais que je ne comprends pas, ils font office de notes, les mots habillent le morceau. Si je les traduits, le sens leur ôte mystère et magie, l'ensemble tombe à plat.
Pour les Tistics, pas grave, car c'est l'effet recherché...


Liens :

Les Tistics – Emission c’est au programme


Les Tistics Site Officiel
 

samedi 1 septembre 2012

Traducteurs bricoleurs



Manga. Le mot lui même est sujet à interprétation. Dans sa traduction du japonais, il signifie à la fois, dessin au trait malhabile, caricature, esquisse au fil des idées, image sans but, divertissante, fantaisiste. 
Comme il n'existe pas de genre grammatical en japonais, manga est à la fois masculin et féminin. En France, depuis les années 70, nous disons arbitrairement UN manga, ce qui le distingue (à tort ou à raison) de LA bande dessinée.
Porté par les « animés », Candy, Albator, Goldorak et consorts, aujourd'hui devenus cultes, le manga va peu à peu séduire un public en quête d'autre chose que Tintin, Gaston Lagaffe ou Astérix.
Une question d'esthétisme et de poésie. De mystère aussi, car le manga, ce n'est pas qu'un coup de crayon, c'est aussi une culture venue de très loin transposée sur des planches.
Comme le japonais se lit de gauche à droite (la quatrième de couverture est en fait la couverture), les éditeurs ont longtemps tergiversé. Faut-il tout remettre à l'endroit (et augmenter ses coûts), « occidentaliser » l'œuvre ou la laisser comme tel au risque de rebuter un lectorat plus âgé ?
C'est que la question est d'importance. La France est le deuxième consommateur mondial de mangas, devant les Etats-Unis.
Depuis 2005, dans l'Hexagone, il s'édite plus de mangas que d'albums traditionnels. Des salons dédiés, comme la Japan Expo début juillet à Paris, rassemble chaque année près de 300 000 personnes sur trois jours. Un ouvrage du héros blond Naruto se vend autour de 200 000 exemplaires. Un carton qui s'explique par la fascination qu'exerce la culture manga sur les 5 – 25 ans.

Une même image peut être traduite 100 fois différemment et faire l'objet, sur le web, d'erratum d'erratum, de polémiques incessantes.

Internet a boosté la tendance. En 1997, naissent les premiers sites dédiés à la traduction de mangas inédits en France. Sans trop se soucier de la loi (en droit français, une traduction est une adaptation, donc soumise au droit d'auteur), les fans s'échangent des planches scannées où les bulles sont « nettoyées » du texte original pour être remplacé par des mots en français. Ils appellent cela une scanlation, contraction de scanner et de translation.
Tapez manga scan sur un moteur de recherche et tous les albums du monde s'offrent à vous.
Sur les forums spécialisés, il est amusant de voir comment les ados s'improvisent traducteurs. Entre le copain du copain qui connaît une copine qui parle japonais, le farceur mythomane qui invente tout de A à Z pour se faire mousser auprès de sa tribu et le « scangine », le petit malin qui passe les textes au traducteur automatique, on assiste à du grand n'importe quoi. Une même image peut être traduite 100 fois différemment et faire l'objet, sur le web, d'erratum d'erratum, de polémiques incessantes sur le pourquoi du comment du sens d'une phrase, voire d'un nom de personnage. Ainsi, en japonais, le r et le l, se ressemblent étrangement et Rino peut facilement devenir Lino pour un traducteur néophyte.

La langue n'est pas si simple à traduire. Elle offre par exemple, une gamme très étendue d'onomatopées dont la plupart n'ont pas d'équivalent en Occident. Là où les éditeurs renoncent à les traduire et les laissent en version originale, les fans, eux, n'hésitent pas à en inventer de nouvelles.
Un folklore linguistique qui n'est pas du goût de la Japan's Digital Comic Association qui, depuis juin 2010, s'inquiète du phénomène. Relayée par des éditeurs américains, elle a décidé d'attaquer quelques sites en justice pour donner l'exemple. En réponse, les scanlateurs font remarquer, qu'ils font la promotion en numérique d'un genre qui ne s'est jamais aussi bien vendu en librairie.


pour Translateo

mercredi 22 août 2012

Casseurs de textes

D'abord, jetons les bases ; comment traduire un texte si la langue source est inconnue de tous ? Pire, si ce même texte est composé de dessins, de signes, d'un alphabet inédit, de chiffres, ou de tout autre gribouillis, par quels chemins vais-je passer pour lui donner un sens ? On entre là dans la cryptographie, un monde à part, où le texte doit être « cassé » avant d'être traduit. L'important, dans un premier temps, ce n'est pas le contenu du coffre-fort mais comment je vais parvenir à l'ouvrir. 

En 1822, Jean-François Champollion étudie les langues orientales au Collège de France lorsqu'il parvient à décrypter les hiéroglyphes gravés sur la Pierre de Rosette. Son exploit ne doit rien au hasard, il le tire de sa rigueur, de son intuition et de son savoir.

Il dit à l'époque de ces pictogrammes, « c'est un système complexe, une écriture tout à la fois figurative, symbolique et phonétique, dans un même texte, une même phrase, je dirais presque dans un même mot. ». Ce texte, datant de 196 avant J-C., est une loi promulguée sous le règne du pharaon Ptolémée V. Historiquement, il n'a pas un grand intérêt. Techniquement, il permet de jeter un pont entre deux civilisations, l'Egypte ancienne et le monde moderne.

Largement reprise par la littérature et le cinéma, notre fascination pour les textes incompréhensibles semble inscrite dans nos gênes. Ce qui a été écrit par l'homme doit être compris par l'homme. Plus près de nous, de nombreux spécialistes ont buté sur le Texte de Copale.

Découvert en 1989, à Berlin-Est, dans les archives de la RDA, ce livre de 105 pages et de 75 000 caractères a finalement été « craqué » fin 2011 par une équipe américano-suédoise dirigée par le professeur Knight de l'Université de Californie du Sud. Knight, de renommée mondiale, expert en traduction automatique, dit s'être appuyé à la fois sur son intuition humaine et des algorithmes adaptés pour casser le code du Copale. Daté de la fin du XVIIIème (entre 1760 et 1780), le livre « mis à nu » est en allemand. Il définit les rites d'une société secrète, l'équivalent d'une secte, portée sur l'ophtalmologie et le culte des yeux.

Certains affirment que le manuscrit de Voynich n'est qu'une supercherie, un livre écrit volontairement dans un langage qui ne veut rien dire.

Mais il y a plus fort. Prenez le manuscrit de Voynich. Ce grimoire, daté du XVème siècle, composé de 234 pages, n'a toujours pas révélé son contenu. Écrit dans un alphabet inconnu, l'ouvrage fut récupéré en 1912 par Voynich, un marchand de livres anciens, auprès des Jésuites de Frascati près de Rome. Très vite, le manuscrit de Voynich s'entoure d'un mystère que d'aucuns trouvent insupportable. Des centaines, des milliers d'êtres humains tentent alors de le décoder. 

Dans les années 50, les grosses têtes de la NSA décident de s'y intéresser, mais ils s'y cassent les dents, eux aussi.

Précieusement conservé à la bibliothèque de l'Université de Yale depuis 1969, le fameux manuscrit fait toujours l'objet de multiples études et reste muet malgré les outils informatiques dont nous disposons aujourd'hui. Certains vont même jusqu'à affirmer que le manuscrit de Voynich n'est qu'une supercherie, un livre « inventé », écrit volontairement dans un langage qui ne veut rien dire. Propriété d'alchimistes qui se le cédaient, il aurait permis à ses propriétaires de prétendre posséder un savoir occulte. Alors qu'y a t-il dans le manuscrit de Voynich ? Vraiment rien ? Même cela, il faudra le démontrer...

De nombreux textes continuent de nous résister. L'un des plus célèbres, et aussi le plus récent (1990), se trouve au siège de la CIA, à Langley, Virginie. Il a pour nom Kryptos, une sculpture en granite, sur laquelle est gravé un texte de 4 sections. Les trois premières ont été décodées, la dernière, composée de 97 caractères, reste inviolée depuis 22 ans.

Kryptos est l'œuvre du plasticien Jim Sanborn et du cryptographe, Eward Scheidt, un ancien de la CIA. Elle fait l'apologie du texte tout puissant qui offre le savoir à celui qui peut y accéder. Un monument à la gloire de l'Intelligence.

pour Translateo.

mercredi 27 juin 2012

Intraduisibles


Mamihlapinatapei. Voilà un mot qui a de quoi impressionner. Il est long, beau, rythmé, il sonne comme une formule de magicien. Pourtant, c'est un cauchemar de traducteur ...
Pourquoi ? Parce qu'il n'existe pas dans d'autres langues. En Yagan, un dialecte parlé en Terre de Feu (Argentine), « mamihlapinatapei » désigne cet instant particulier deux personnes sont sur le point de commettre la même action tout en luttant contre leurs réticences. C'est le préambule du passage à l'acte, ce moment de grâce qui précède le premier baiser...

Sur le site BigThink, l'Américaine Pamela Haag s'amuse à recenser des mots rares, des mots qui n'ont pas d'équivalent dans une autre langue et qui, souvent, désignent un sentiment, une humeur, une sensation, une situation propre aux relations humaines.  

Ainsi, elle met en lumière le mot français « retrouvailles » qui désigne la rencontre de personnes qui ne se sont pas vues depuis un certain temps et qui prennent plaisir à le faire. Dans tous les pays du monde se déroulent des « retrouvailles », or seuls les Français leur ont donné un nom.

Si je veux traduire « nous fêtons nos retrouvailles » en anglais, je vais devoir faire un choix ; je peux utiliser les mots creux dont je dispose (comme « reunion » ou « meeting ») et je les gonfle à l'aide d'une formule qui s'ajoute à la phrase. Exemple : « We're celebrating our getting back together just like old times », littéralement, « nous fêtons notre rencontre comme au bon vieux temps ». Autre solution, je décide de donner la définition de « retrouvailles » dans la traduction même, ce qui donne  « We're celebrating our getting back together just like old times » (nous fêtons le fait que nous sommes contents de nous retrouver). Mais on le voit, la singularité de « retrouvailles » rend la traduction très compliquée avec un résultat médiocre ou décalé.

Ces mots qui n'existent que dans une seule langue sont d'une infinie beauté car ils portent en eux une réalité culturelle.

Un mot qui n'a pas d'équivalent dans une autre langue est-il pour autant « intraduisible » ? En portugais, « saudade » exprime un désir vague et constant pour quelque chose ou quelqu'un qui n'existe pas, ne peut exister ou n’existe plus. Un amour d'enfance, un proche disparu, un animal de compagnie, une maison, un pays, nous avons tous un saudade qui hante notre cœur. Pourtant, seuls les Lusitaniens ont donné un nom à ce sentiment à la fois très personnel et connu de tous.
Encore une fois, si je veux le traduire, je dois l'expliquer.

Mais il y a encore plus compliqué. Prenez un iunga en Afrique subsaharienne. En langue bantoue, cette personne a la particularité de pardonner une première faute, de tolérer la seconde et de punir pour la troisième. Culturellement riche, ce mot englobe à lui seul un système de justice sociale. Une mère, un professeur d'école, un patron, tout représentant d'une autorité est iunga.
Comment le traduire dans une autre langue sans un alinéa explicatif ? 

Ces mots qui n'existent que dans une seule langue sont d'une infinie beauté. Leur « intraduisibilité » (mot français inventé) est leur richesse. Ils expriment bien plus qu'un sentiment, ils portent en eux une réalité culturelle. Si un peuple a désigné une humeur, c'est bien qu'il s'y retrouve.
Les Norvégiens ont tous été « forelsket » un jour. Ce mot désigne l'état d'euphorie dans lequel vous êtes lorsque vous tombez amoureux. En français, on pourrait le traduire par « sur un nuage d'amour »... Ce qui n'est pas mal non plus.

vendredi 8 juin 2012

Njut est là


L'objet de cet article m'est venu il y a quelques jours, à l'heure du café. Comme chaque matin, l'esprit un peu embrumé, je sirotais une tasse en surfant sur le net. J'avais mis la radio et prêtais une oreille distraite à un brouhaha d'ambiance fait d'infos et de réclames.
                                                                 
Et puis, alors que j'avais les yeux rivés sur l'écran, un mot s'est incrusté dans mon conduit auditif, un mot court et inconnu, une sorte de Gremlin sonore qui revenait sans cesse : niute ! proclamait une voix féminine, jeune et nasillarde.
Agacé autant qu'intrigué, je finissais par débusquer ce « niute ». Il débutait et clôturait chaque spot publicitaire pour la marque Ikea. Or rien dans le message n'indiquait sa signification.

Pourtant, depuis la loi Toubon (1994) et sa circulaire d'application (1996),
vous pouvez employer des mots étrangers dans une publicité à condition de les traduire en français de manière parfaitement visible et/ou audible.

Pour faire respecter ces règles, il existe un gendarme, l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP), anciennement le Bureau de Vérification de la Publicité, qui passe au crible la réclame, reçoit les plaintes et délivre ses recommandations. 

Et la tâche n'est pas aisée.
Prenons un exemple : si j'utilise « low cost », « hotline », « playlist » ou « drink » dans une publicité, je dois traduire. A l'inverse, si j'emploie « smoothie », « geek », « smartphone », « buzzer » ou même « e-learning », rien ne m'y oblige ... Pourquoi  ces derniers et pas les autres ? Parce qu'ils ont été intégrés récemment dans le dictionnaire (par l'Académie Française, le Larousse ou le Robert) et qu'ils sont de fait français...

Au regard de la cible visée, c'est à dire les trentenaires, la marque fait preuve d'une originalité très consensuelle

Dans un rapport remis en 2009, l'ARPP relève déjà que tout concoure à « défranciser » les pubs. On peut s'agacer par exemple de ces spots pour des parfums de luxe où la voix off ânonne le nom de la marque et son slogan en français avec un accent anglo-saxon à couper au couteau.

Mais il y a plus embêtant. 
L'Autorité rappelle que si un slogan doit être compris et donc traduit, la marque, elle, échappe à cette obligation. 
C'est une brèche dans laquelle s'engouffrent les directeurs marketing. 
Ainsi, Afflelou propose ses lunettes Fourty (quarante) destinées aux quadras puis lance l'opération Next Year (l'année prochaine) pour signifier à sa clientèle qu'elle peut désormais différer ses paiements. Les exemples abondent de marques simples qui se déclinent en sous-marques à rallonges le plus souvent anglicisées : SFR Business Team, Signal Right Now, Dove Go Fresh, Samsung Player Style etc... On s'invente ainsi une marque-slogan très pratique : mon nom vous explique ce que je vous propose sans que j'ai à traduire. 

Mais revenons à notre « niute » initial, celui des spots Ikea. J'ai du me rendre sur le site de la marque pour en savoir plus. Son orthographe exacte est njut. D'après l'annonceur, ce petit mot suédois signifie, « profiter, vibrer, s'éclater ». Au regard de la cible visée, c'est à dire les trentenaires, le spécialiste du meuble en kit aurait pu faire preuve d'une originalité moins consensuelle et oser traduire « njut » par « kiffer ». Mais bon, dans la pub, le traducteur n'a guère son mot à dire.