lundi 27 février 2012

Presse


Bourdes à la une
Les médias aussi font des erreurs de traduction. La faute au numérique, à l'accélération des flux d'infos, les journalistes se dédouanent. Pourtant, en février, trois affaires, que l'on pourrait qualifier de « boulettes linguistiques », jettent un éclairage cru sur des transcriptions à la fois partisanes, médiocres et tronquées d'informations sensibles. Démonstration.
Le 5 février, alors qu'il ne parle plus à la presse anglaise depuis plusieurs jours, l'Italien Fabio Capello, sélectionneur de l'équipe de football d'Angleterre, est l'invité d'une émission sur Rai Uno dans laquelle il critique ouvertement les dirigeants de la FA, la Fédération Anglaise, qui est aussi son employeur. Ses déclarations sont immédiatement reprises sur Twitter par des journalistes italiens puis par les agences d'informations locales. Elles se dispersent ensuite sur la toile avant d'être traduites à leur tour par des journalistes anglais qui profitent de l'aubaine pour alimenter le « Capello bashing ».
En effet, tancé outre-Manche pour son manque de résultats, pour son salaire exorbitant, pour sa nationalité et pour plein d'autres raisons obscures, Capello est devenu la tête de Turc des tabloïds anglais. Ses soi-disant propos, tenus sur la Rai, font les gros titres le lendemain. En fait, ils font dire à Capello des mots qu'il n'a jamais prononcé. Mais s'estimant insultée, la FA le congédie immédiatement. Sans autre forme de procès.
Le 8  février, une dépêche AFP, émise par le correspondant de l'agence de presse à Berlin, met les rédactions françaises en émoi. Elle annonce que, face au froid persistant, l'Allemagne a décidé de rouvrir deux de ses huit centrales nucléaires arrêtées depuis le printemps sur décision politique. En cette période de campagne présidentielle, les prises de décisions du gouvernement allemand sont scrutées à la loupe.
Le Parisien, France Inter, Le Figaro publient la nouvelle sans se demander si une centrale nucléaire se rallume aussi simplement qu'une chaudière domestique. Car l'info est bidon. Elle est tirée d'un article à paraître le 9 février dans le quotidien économique allemand Handelsblatt. C'est en relisant ce fameux papier que l'AFP réalise qu'elle a commis une faute de traduction. L'Allemagne remet bien deux centrales en service mais elles sont thermiques et en aucun cas nucléaires. Un rectificatif est alors envoyé.
Faire de l'esprit devant un journaliste étranger est un exercice périlleux.
Le 14 février, la publication d'un article dans The Guardian, un quotidien britannique, soulève une vive polémique autour de François Hollande. Dans ce papier, qui lui est consacré, le candidat socialiste à la présidentiel déclare, « Il n'y a plus de communistes en France ».  Une remarque qui déclenche les foudres de Jean-Luc Mélenchon et des dirigeants du PC. Mieux, elle est reprise par Nicolas Sarkozy lors de son meeting de campagne à Annecy.
Or, The Guardian, le jour même, apporte un rectificatif à l'article paru et tente d'éteindre l'incendie. Il replace la citation du Français dans son contexte et reconnaît qu'elle a été tronquée. Ainsi, François Hollande a précisément dit : « Les années 80 étaient une époque différente. Les gens disaient qu'il y aurait des chars soviétiques sur la place de la Concorde. Cette époque est révolue, c'est de l'histoire. C'est normal qu'il y ait eu de la peur à ce moment-là. La droite était au pouvoir depuis 23 ans. Il y avait la guerre froide, et Mitterrand avait nommé des communistes au gouvernement. Aujourd'hui, il n'y a plus de communistes en France. Ou plus beaucoup... ».
L'erreur revient cette fois à l'auteur de l'article, qui s'est contenté de traduire ce qu'il voulait entendre sans tenir compte de la « Hollande Touch », de ce petit trait d'humour voire de cette malice qui agrémente parfois son langage.
On peut toutefois relever que faire de l'esprit devant un journaliste étranger est un exercice périlleux car il défie les lois de la traduction.

Nicolas Roiret 
pour Translateo.

jeudi 23 février 2012

Expo-Langues 2012

Une visite en coup de vent


Le 3 février dernier, j'ai bravé un froid de canard pour retrouver une sensation vieille de 30 ans, celle de l'étudiant paumé venu chercher des idées d'avenir dans un salon d'étudiant.

L'idée m'est venue en découvrant une affiche dans le métro. « Expo-Langues 30ème édition, Les langues du monde, le monde des langues ». Je me suis dit : « Aujourd'hui, si j'ai 20 ans, un bac en poche, et déjà une ou deux années de fac derrière moi, si la voie que j'ai prise, souvent par défaut, est sans intérêt ou totalement bouchée, pourquoi ne pas aller voir du côté des langues ? ». Un raisonnement tenu par beaucoup. 

Nous sommes à la Porte de Versailles, pavillon 4 . Passée l’habituelle distribution de prospectus, le visiteur découvre un univers assez feutré, plutôt féminin et intello. J'emboîte le pas à deux étudiantes qui, comme moi, viennent d'arriver.

Deux copines de fac probablement. Les visages sont tendus, ça sent la corvée. Les filles déambulent d'abord au hasard, semblent chercher puis se précipitent sur le stand de la Commission Européenne. Là, elles piochent dans les présentoirs, raflent quelques brochures et puis s'en vont sans même répondre au sourire des hôtesses. Je les vois se diriger vers la sortie et disparaître. Durée de leur visite, moins de cinq minutes.

L'interprétariat trimbale deux préjugés l’empêchant de devenir tendance.

Pourquoi le stand de la Commission Européenne et seulement celui-là ?
Je décide de m'y attarder et je comprends vite pourquoi il attire du monde.
L'Europe a besoin d'interprètes, de beaucoup d'interprètes. Elle en possède 1000 en interne, auxquels s'ajoutent 3000 indépendants accrédités. Avec ses 23 langues officielles et ses 18 000 réunions annuelles, c'est une fourmilière linguistique unique au monde, une porte à laquelle on peut venir frapper.

Reste, pour un jeune, à sauter le pas. L'interprétariat trimbale deux préjugés l’empêchant de devenir tendance. 
Le premier vient de l'apparente difficulté de la traduction simultanée des paroles d'un autre. Pour beaucoup, l'exercice relève de la magie alors qu'il est fondé sur un apprentissage et des techniques largement éprouvées.

La seconde idée reçue est la nécessité d'être polyglotte, d'être une bête en langue, capable de converser en russe, en bulgare, en flamand et/ou en portugais... C'est faux, bien sûr. On vous demande surtout d'être fort dans votre langue maternelle, le but étant de la restituer le mieux possible.

Faut-il pour autant que je me déplace dans un salon pour l'apprendre ? Non.
Nos deux étudiantes si pressées n'ont pas dû faire grand-chose de leur doc. A part découvrir qu'il existe une vidéo officielle sur You Tube.
En effet, un clip de 7 minutes et 13 secondes fait la promotion de l'interprétariat au sein de l'Europe. Un tantinet austère, il répond néanmoins à de nombreuses questions au travers de témoignages courts et pragmatiques. Cette vidéo, titrée « Interpréter pour l'Europe », a été vue près de 50 000 fois. Le problème est qu'elle a été postée il y a deux ans.
Avec ses 240 millions d'euros de budget annuel, la Direction Générale de l'Interprétariat serait bien inspirée de rafraîchir sa communication à destination des jeunes. Et en particulier sur le Net.
La nouvelle génération est effectivement très « salon ». Mais plutôt chez elle, devant l'ordi.

Nicolas Roiret
Pour Translateo.


URL vidéo « Interpréter l'Europe ».

mardi 7 février 2012

Traduction automatique

Les promesses d'une utopie 
 
New York, le 7 janvier 1954. Le gratin du journalisme est convié dans les locaux de la société IBM pour assister à une démonstration inédite et pleine de promesses.
Initiée par le gouvernement américain, sous la houlette de l'Université de Georgetown, elle vise à prouver qu'une machine peut comprendre une langue étrangère.
Imaginez-vous une scène pour le moins vintage, où l'ordinateur à la taille d'un buffet de salon et se nourrit de cartes perforées. L'assistance retient son souffle. Devant elle, l'IBM 701, le calculateur le plus puissant du monde, traduit en anglais des formules chimiques, des théorèmes mathématiques et des citations philosophiques écrites en russe. 


 
A l'époque, l'affaire fait grand bruit et nourrit un climat d'émerveillement technologique. Beaucoup, dans cette avancée, voient le début d’une ère nouvelle, la fin des barrières linguistiques qui mènent à l'incompréhension entre les peuples.
Placée en une de tous les journaux, l'expérience révèle au grand public l'existence même des ordinateurs, ces machines semblables à des « super cerveaux », une formule médiatique qui fait mouche. Au début des années 50, le modernisme fascine car il n'a pas encore montré ses limites.
  

Dans l'ombre, la CIA et le ministère de la Défense américain partagent ce bel enthousiasme, mais pour d'autres raisons. La Guerre Froide nécessite de gros moyens en traduction. La  course  folle que se livrent l’URSS et les USA dans l'armement, la fission de l'atome et la conquête de l'espace obligent chaque camp à traduire ce que l'autre édite. L'engorgement guette.
En 1954, tous les espoirs se tournent alors vers la traduction automatique. La communauté scientifique est chargée d'achever le travail entamé jusqu'alors. Les crédits sont débloqués. Tout le monde y croit. Y compris les Russes qui, de leur côté, lancent un vaste programme pour résoudre l'énigme du langage. 

Les ingénieurs raisonnent « message à casser », ils partent du principe qu'une langue est un code.

Car c'est ainsi que le problème est posé. Comment réduire une langue à une série d'équations mathématiques, en prendre le contrôle et la faire parler. Pour cela, et dans une logique fort militaire, les ingénieurs raisonnent « message à casser ». Ils partent du principe qu'une langue est un code, complexe certes, mais un code auquel doit répondre un autre code chargé de le traduire. Cette certitude va durer 4 ans. En 1958, une poignée de savants s'interrogent sur la possibilité d'atteindre le but fixé. L'argent coule à flots mais les travaux n'avancent guère. En 1964, le gouvernement américain commande un rapport sur le bien-fondé de la traduction automatique. Deux ans plus tard, l'ALPAC (Automatic Language Processing Advisory Committee) remet des conclusions qui feront date. Pour lui, la traduction automatique est coûteuse, de qualité médiocre et sans avenir. Une langue n'appartient qu'aux hommes. Et les machines n'y peuvent rien.

Le désintérêt pour la discipline est immédiat. La traduction automatique est rangée au rayon des utopies. Au début des années 80, les Japonais s'y intéressent de nouveau et l'adaptent à leurs activités. Champions de l'exportation, ils utilisent des programmes pour traduire leurs modes d'emploi et leurs descriptifs de produits. Plus récemment, avec l'avènement du Web et l'utilisation des statistiques, Google revigore la traduction automatique sans pour autant en éviter les travers.

Depuis 45 ans, nous savons qu'un ordinateur ne peut et ne pourra jamais traduire correctement une langue dans une autre. Malgré, parfois, l'illusion du contraire...

Nicolas Roiret
pour Translateo.

jeudi 2 février 2012

Omron Software

L'appli qui traduit

Une application développée par le Japonais Omron permet désormais de traduire en temps réel le texte que vous filmez avec votre smartphone. Pour l'heure, il ne concerne que quelques mots ou expressions en japonais, anglais, coréen et chinois. Mais à terme, ce type de logiciel devrait couvrir une cinquantaine de langues et des millions de mots. Même s'il peut paraître futile, ce logiciel est malin à plus d'un titre. En privilégiant ce qu'il sait faire de mieux, c'est à dire le mot à mot, il apporte une aide certaine au voyageur. Démonstration.

Vous visitez Canton et soudain, vous avez un petit creux. Vous vous installez dans la première gargote venue et comme vous ne parlez pas le mandarin, vous demandez la carte, en anglais ou en langage des signes. Le menu en main, vous dégainez votre portable, mode Movie, vous appuyez sur Start, un balayage rapide et vous voilà prêt à commander un canard laqué en désignant la ligne correspondante. Si, plus tard, vous devez vous rendre aux lavabos, votre portable vous aidera peut-être à ouvrir les bonnes portes.

Avec son smartphone, Julie a compris qu'il s'agissait de rognons !

Autre situation : vous faites des courses dans une grande surface à Francfort et vous cherchez à acheter de la mousse à raser (Rasierschaum). Comme vous ne comprenez pas l'allemand, la signalétique du magasin vous pose problème. Avec l'appli magique, vous allez pouvoir décrypter les panneaux qui vont vous guider vers le rayon concerné. Là, vous pourrez même lire les emballages pour choisir le bon produit, « gel », « mousse », « parfumée », « hydratante », « peau souple », « peau sensible »... Même l'article en promo ne vous échappera pas.

Un dernier exemple ? Julie la Française réside chez les Smith à Liverpool, le temps d'un séjour linguistique destiné à parfaire son anglais. Mais Julie l'ado a parfois du mal à interpréter certains mots, les Smith parlent vite et leur accent local ne facilite pas la compréhension.
Hier soir, lorsque Madame Smith lui a demandé « do you like kidney ? » avant de préparer le repas, Julie est restée sans voix car elle ne sait pas ce que « kidney » veut dire. Après que Mme Smith ait vainement tenté d'en expliquer le sens, Julie lui a demandé d'écrire le mot sur une feuille de papier, puis, à l'aide de son smartphone, elle a compris qu'il s'agissait de rognons !

En fait, ce petit logiciel que vous avec installé dans votre portable et qui vous permet de lire une affiche publicitaire dans le métro de Hong Kong est l'aboutissement de 60 ans de recherche et de beaucoup de désillusions.

En appliquant la réalité augmentée à la traduction automatique, l'homme réalise un vieux rêve, celui de sous-titrer le monde qui l'entoure. Et pourtant, même si elle est fort utile, cette technologie, n'est pas, et de loin, aussi avancée que les ingénieurs l'auraient souhaité. Elle se heurte à une montagne infranchissable : la complexité d'une langue.
Lorsque l'on s'intéresse à l'histoire de la traduction automatique, on est frappé par une date, 1966. Cette année-là, il y a 44 ans, les meilleurs scientifiques regroupés au sein de l'ALPAC (Automatic Language Processing Advisory Committee) ont remis un rapport au gouvernement américain dans lequel ils reconnaissent qu'aucune machine ne peut et ne pourra atteindre le Graal de la traduction.

Et ce, même pour la carte d'un restaurant...

Nicolas Roiret
pour Translateo.