mardi 14 mai 2013

À CÔTÉ DE LA PLAQUE


Depuis quelques mois, une page communautaire sur Facebook remporte un vif succès auprès des internautes. Ouverte en janvier 2012, elle compte aujourd'hui plus de 3000 abonnés et son lectorat ne cesse de croître. Son nom grossier, Traductions De Merde, (TDM pour les connaisseurs) a de quoi rebuter. Elle recèle pourtant une grande quantité de perles, drôles ou consternantes, liées à des erreurs de traduction.

La richesse de cette page repose sur un principe simplissime : si au cours d'un voyage lointain, ou si en bas de chez vous, un panneau, une affichette, une carte de restaurant ou un emballage quelconque comporte une erreur de traduction, vous faites une photo avec votre smartphone et vous  la transmettez à TDM via Internet.

Venues du monde entier, ces contributions sont triées (et modérées) par une équipe que l'on devine compétente. Elle veille à ne publier que les plus cocasses, les plus invraisemblables et les plus significatives en matière de traduction approximative. La consultation de ces images est irrésistible et ressemble à un interminable voyage, exotique et burlesque.

Les menus de restaurant contiennent par exemple de nombreuses pépites, dont certaines sont devenues des standards. Ainsi, notre fameux « crottin de Chavignol » se transforme souvent en  « warm goat dung »,  du fumier de chèvre chaud qui ne fait guère envie...
Que dire des oignons frits, qui sur la carte, et après traduction, deviennent malheureusement  « calcinés » ? Ou de cette « pizza aux moisissures », dont on peut espérer qu'elle soit recouverte de « champignons » plus ragoûtants ?

 La TDM est souvent le résultat d'un mot à mot mal maîtrisé. « Our chips are house » a de quoi interloquer un client anglophone. Si nos frites sont « maison », elles sont plutôt « home-made ».  Inversement, la « participation de légumes » peut dérouter un francophone. Cela ne veut pas dire que les carottes font de la figuration mais qu'elles sont partie prenante dans « l'accompagnement » du plat principal...
Le « lawyer vinaigrette » est bien un « avocat sauce vinaigrette », mais le cannibalisme guette car il s'agit là de l'homme de loi, pas du fruit, qui lui se dit « avocado » en anglais. Idem pour la « piece of butcher » qui remplace maladroitement la « butcher's piece ». Que préféreriez-vous déguster, un morceau de boucher ou la pièce du boucher ?

« Evitez d'arroser dans les yeux, prévient le fabricant, n'arrosez pas sur une fame nue ou n'importe quelle matière incandescente ».

La TDM trouve aussi son origine dans les traductions automatiques.
Pour une entreprise sérieuse portée sur l'export, traduire un mode d'emploi, des mises en garde ou un simple explicatif du produit figurant sur les emballages doit faire l'objet d'un soin tout particulier. Il en va de la sécurité du client et de l'image de marque de la société. Mais cela a un coût. Il peut être tentant d'utiliser des logiciels gratuits disponibles sur le Web pour augmenter ses marges.

Prenez ce rouge à lèvres de fabrication chinoise. Il est « Toluène gratuitement ». Qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'il regorge de toluène, ce solvant toxique si dangereux pour notre santé ? En fait, c'est la TDM de « Toluene Free », sans toluène en anglais. La traduction d'une traduction. Dans le jargon, on appelle cela une « traduction-relais », la pire chose à faire pour un professionnel.

D'ailleurs, si vous avez un doute concernant l'authenticité d'un article, la lecture de l'emballage est souvent éloquente. En témoigne cette boîte renfermant un parfum prétendument de la marque Hugo Boss : « Evitez d'arroser dans les yeux, prévient le fabricant, n'arrosez pas sur une fame nue ou n'importe quelle matière incandescente ». Inutile d'avoir fait l'école des douanes pour flairer là la trace une contrefaçon...
Le problème avec la TDM, c'est qu'elle dévalorise le produit. Ici, on trouve un « pinceau pour les rides », là, un « laxatif pour les cheveux secs », plus loin, un « compagnon d'oreille à insertion fixe », qui s'avère être une paire d'écouteurs pour un lecteur MP3... Passé l'effet comique (et les commentaires tantôt potaches tantôt piquants qui les accompagnent), on comprend mieux combien il est périlleux de traduire sans rien maîtriser d'une langue.

La palme revient sans doute à ces affichettes que l'on trouve sur les lieux touristiques et qui sont supposées nous informer. Dans les toilettes de cet estaminet canadien, celle-ci rappelle que « les employés doivent laver des mains », tandis que dans cet aéroport, un panneau indique que vous entrez dans une «Aucune Région Fumeurs ». 

Pour finir, voici cette brochure remise aux pensionnaires d'un monastère croate près de Dubrovnik. Elle s'adresse en français à celles et à ceux venus faire une retraite dans ces lieux sacrés. On peut y lire : « Vous venez chez nous avec le désir vivant de jouir dans la nature, dans les vacances et de reposer vraiment ». Tout un programme...

pour Translateo

vendredi 10 mai 2013

LES RÈGLES DE L'ART


Posons la question simplement : qu'est-ce qu'un bon traducteur ? Vous me répondrez que c'est celui qui fait correctement son travail... Soit. Un traducteur, c'est quelqu'un qui rapporte la parole ou les mots d'un autre, se voit confier sa défense, ses idées, son business ou son art pour les porter à la connaissance d'un tiers. Lourde, très lourde responsabilité. Alors comment s'assurer qu'il sera digne de confiance ?

Pour tenter d'y voir plus clair, jetons d'abord un œil sur les codes de déontologie qui régissent la profession. Ils sont tous à peu près semblables et sont édités par différents organismes ou syndicats. Prenons celui de l'ATLF (Association des Traducteurs Littéraires de France), rédigé en 1988 et légèrement remanié en 2012, qui regroupe les droits et les devoirs du traducteur en une douzaine de paragraphes.  

Sur la qualité intrinsèque du travail à fournir, il reste assez vague et donne l'impression au néophyte d'enfoncer des portes ouvertes : « Quiconque exerce le métier de traducteur doit posséder une connaissance très sûre de la langue à partir de laquelle il traduit (langue source) et de la langue dans laquelle il s'exprime (langue cible). Cette dernière doit être sa langue maternelle ou une langue qu'il maîtrise au même degré que sa langue maternelle ».
Un peu plus loin, il est stipulé que « le traducteur s'interdit d'apporter au texte toute modification ou déformation de nature à altérer la pensée ou le style de l'auteur ». Nous voilà bien avancés !

Mais il y a plus flou encore. Dans le code de déontologie des membres de la Société Française des Traducteurs, « le traducteur s'engage à travailler dans les règles de l'art en restituant fidèlement le message contenu dans le document qui lui est confié ».

Il faut se méfier du traducteur low-cost, du Lucky Luke de la copie, celui qui casse les prix et prétend travailler plus vite que son ombre.

Tout ceci est très bien, mais quelles sont ces fameuses règles de l'art ?
Dans l'ouvrage « Profession traducteur » de l'universitaire Daniel Gouadec (Rennes II), elles sont ainsi définies : « convergence typologique, convergence sémantique et discursive, structure parfaitement balisée, terminologie normalisée, terminologie homogène, texte transparent, écarts culturels comblés, application systématique des normes existantes ». Le bon traducteur serait donc là, noyé dans ce verbiage ?

Mettons-nous maintenant à la place d'un jeune auteur soucieux de faire traduire ses nouvelles en polonais. Imaginons qu'il se rend à Varsovie pour un long séjour et qu'il souhaite profiter de l’occasion pour faire connaître son travail auprès d'éditeurs locaux. Comment va‑t-il s'y prendre pour dénicher LE traducteur qu'il lui faut, celui qui, justement, conserve l'originalité de son œuvre avec probité ? Il y a fort à parier qu'il ira d'abord errer sur Internet sans trop savoir à quel saint se vouer. Il se méfiera bien sûr du traducteur low-cost, du Lucky Luke de la copie, celui qui casse les prix et prétend travailler plus vite que son ombre. Celui-là, précisément, marche en dehors des clous de la profession, même s'il jure, la main sur le cœur, qu’il en respecte les règles.

Alors, un bon traducteur ? La norme AFNOR peut représenter une référence sûre pour notre jeune écrivain. Traduire du français en polonais est une tâche dont s'acquitte fort bien une poignée d'agences dans l'Hexagone. Elles en font leur spécialité et le sérieux de leur travail est récompensé par une sorte de label au nom barbare, ISO 9001. Délivré sur la base de critères objectifs par un organisme indépendant, il représente un gage de qualité et d'honnêteté pour le « donneur d'ouvrage ». Cela ne veut pas dire qu'il est indispensable, mais il a le mérite d'éviter les mauvaises surprises. 

Finalement, on en revient au postulat de départ, le bon traducteur est celui qui fait correctement son travail...

Nicolas Roiret
pour Translateo.