lundi 18 février 2013

La traduction avec l’accent de l’Est


Polonaise, diplômée de Langues O’, Kasia Rey dirige aujourd’hui trois agences de traduction dont TRAD’EST, réputée pour son savoir-faire dans les langues des pays de l’Est.




Pourquoi avoir choisi le métier de la traduction ?
J’ai toujours été passionnée par les langues. A 18 ans, après avoir passé mon bac, j’ai quitté la Pologne pour étudier le russe à Paris. Comme c’était en 1989, avant la chute du Mur, je n’ai pas pu obtenir de visa pour traverser l’Allemagne de l’Ouest. J’ai donc dû passer avec ma Fiat « pot de yaourt » par la Tchécoslovaquie, l’Autriche et la Suisse. Quelle belle aventure ! Ala rentrée, j’ai intégré Langues O’ (INALCO) et, en 1996, je créais ma première agence - TRAD’EST.

Quel est le bilan de votre activité ?
Aujourd’hui, je suis à la tête de 3 agences : TRAD’EST – EUROPA TRADUCTION et TRANSLATEO qui emploient 14 salariés et 1700 traducteurs à travers le monde. Nos trois agences sont certifiées ISO 9001 et, en 2012, nous allons réaliser 2 millions d’euros de chiffre d’affaires. Cela représente 300 pages traduites par jour. Nous avons d’abord bâti notre réputation sur les langues de l’Est, notamment le russe, puis à la demande de nos clients pour des langues plus courantes, nous avons élargi notre panel. À présent, nous traduisons dans une soixantaine de combinaisons, pour une clientèle d’entreprises telles que Renault, Technip, Lafarge, Boiron, EDF, Dim, Kiabi...


Qu’est ce qui distingue une femme d’un homme en termes de management ?
Peut-être la douceur féminine. Je dirais que je manage avec « une main de fer dans un gant de velours ». Mais pour répondre à votre question il n’y a pas de miracle, les chefs d’entreprise femmes ou hommes sont
confrontés aux mêmes problèmes. En fait, la capacité personnelle de travail et d’organisation de chacun détermine le succès. Dans le secteur de la traduction, nous avons en plus la contrainte du temps car la réactivité et la qualité sont chez nous indissociables. Pour cela, j’ai beaucoup de chance car je dispose
d’une équipe formidable, autant motivée et passionnée que moi, et c’est un vrai plaisir de venir travailler au quotidien.

Article paru dans ENTREPRENDRE
Spécial Femmes Chefs d'entreprises
Janvier 2013



lundi 11 février 2013

PIRATE, MON AMI


Traduire, c'est contrefaire. En 2007, un jeune homme de 16 ans en a fait la brutale expérience. Les gendarmes ont sonné à sa porte et l'ont embarqué pour une garde à vue qui a duré plusieurs heures. Son tort ? Avoir traduit les bonnes feuilles du dernier opus d'Harry Potter et les avoir postées sur internet. Fan du sorcier à lunettes et plutôt calé en anglais, l'ado, originaire d'Aix-en-Provence n'a pas attendu que « Les Reliques de la mort » sorte en France. Il l'a acheté en version originale puis l'a traduit au fil de sa lecture pour en faire profiter les copains.
En apprenant qu'il n'avait pas fait commerce de son travail et que sa diffusion était restée confidentielle, les éditions Gallimard, ont finalement retiré leur plainte.
Traduire un texte, qu'il s'agisse d'un article comme celui-ci, d'une nouvelle, d'une chanson, d'un roman ou d'un essai ne peut se faire sans l'accord préalable de son auteur ou de ses ayants droit. Le texte est protégé, au même titre que la photographie, le disque ou le cinéma.

Cela semble tomber sous le sens, chez nous, en France, où le copyright est bordé par des lois à la fois contraignantes et dissuasives. Or, il n'en est pas de même dans d'autres pays où, justement, la copie est un sport national. Dans le domaine du livre, les champions toutes catégories sont le Pérou et la Russie. Le premier inonde le marché sud-américain, le second, celui de l'ancienne URSS.
Dans son édition du 1er novembre, le journal anglais The Guardian, raconte l'histoire édifiante de l'écrivain américain Peter Mountford (photo). Début 2012, celui-ci publie son premier roman, A Young Man's Guide to Late Capitalism. À titre personnel, il active une alerte Google pour suivre ce qui se dit ou s'écrit à propos de son ouvrage sur le net. Très vite, il constate qu'un internaute russe, dénommé Alexander III, diffuse des bouts de phrases de son roman sur WordReference.com, un site dédié à la traduction.

Imaginez qu'en son temps, Picasso, de son plein gré, soit venu en aide à un faussaire pour retravailler un ciel ou une silhouette...

Mountford s'en amuse, se dit qu'Alexander III, lit son livre malgré quelques lacunes en anglais et utilise les forums pour demander des éclaircissements. Mais il déchante assez vite en constatant que des pans entiers de son roman sont désormais en ligne et livrés à la traduction en russe. Il comprend cette fois qu'Alexander III prépare une version russe de son ouvrage alors même que son éditeur n'a jamais signé d'accord. 
En Russie, le livre numérique connaît un essor exponentiel. Plus de 100 000 ebooks sont à la disposition d'un public culturellement friand de lettres. Les ventes de liseuses explosent et pour les alimenter, des éditeurs sans scrupules traduisent des ouvrages étrangers sans s’acquitter des droits d'auteurs. Ces livres ne sont pas pour autant moins chers, les traductions sont souvent de piètre qualité, les gains considérables. Avec l'ebook, les pirates s'émancipent des rotatives et du papier. L'éditeur véreux fait appel à des petites mains pour traduire tel ou tel livre venu d'ailleurs, en sachant qu'il ne risque rien sur le plan pénal.
Voilà qui est rageant. Dans un premier temps, Peter Mountford tente d'entrer en contact avec Alexander III. Pour le raisonner, le convaincre d'abandonner son projet. En vain. Alexander III disparaît aussitôt de la Toile puis réapparaît, quelques semaines plus tard, pensant s'être fait oublier.
Mountford revient vers lui mais cette fois animé d'une autre intention : il lui propose de l'aider à traduire son propre roman !
« La vente des droits d'un livre à la Russie relève de l'utopie, explique t-il dans The Guardian, le marché noir de l'ebook y est trop puissant. Je me suis donc dit, quitte à être traduit en russe, autant que ce soit fait correctement, c'est à dire avec mon aide, celle de l'auteur ».
Effet pervers de la mondialisation, l'artiste fraternise avec son pirate...
Imaginez qu'en son temps, Picasso, de son plein gré, soit venu en aide à un faussaire pour retravailler un ciel ou une silhouette... 
  

lundi 4 février 2013

LE SENS DU RIDICULE (Gangnam Style)


À l'instant où nous écrivons ces lignes, la chanson de Psy, Gangnam Style, a été vue 1 265 090  687 fois sur Youtube. Mise en ligne le 15 juillet, elle génère en moyenne plus de 6 millions de clics par jour, 71 par seconde... Avant la fin de l'année 2012, ce clip sera le premier dans l'histoire du web à dépasser le milliard de connections. Un record réalisé en moins de six mois.
Statistiquement, un Terrien sur 7 a demandé à voir ces 4 minutes et 13 secondes de délire intense. Ce qui, vous en conviendrez, soulève quelques questions, la première étant, « pourquoi le Gangnam Style est-il si consensuel ? ». 




Un rythme dansant, une chorégraphie originale, festive et facile à reproduire, un chanteur tout en rondeur, une pincée de grotesque, un décor post-modern, des couleurs acidulées et le tour est joué ?
Sur la télé américaine Fox News, le psychiatre Keith Ablow croit savoir pourquoi les masses cliquent frénétiquement sur cette chanson : parce qu'elles n'y comprennent rien. 
Il voit en Psy, « le fils de Facebook », un opportuniste « qui puise dans le manque de sens » dont se gargarise aujourd'hui les gens. 
Pas si simple. Car ce qui, au premier abord, ressemble à une farce, est en fait une satire à la sauce sud-coréenne. Psy, se moque des filles et fils à papa, friqués et futiles de Gangnam-Gu, un quartier de Séoul. Gangnam, le sud du fleuve en coréen, est l'endroit où se concentrent les sièges sociaux des grandes entreprises du pays ainsi que les bars et les discothèques les plus hypes de la capitale. Rapporté à Paris ce serait un mélange de la Défense, du triangle Neuilly-Auteuil-Passy, de l'Étoile et de Saint-Germain concentrés dans le même périmètre, un endroit où l'on fait des affaires, où l'on dépense son argent et accessoirement, où l'on peut s'encanailler.

La chanson traduit le ressentiment d'une jeunesse coréenne qui ne profite pas des richesses du pays et de son taux de croissance à deux chiffres.

Psy, de son vrai nom Park Jae-Sang, trentenaire, a étudié à Boston, aux États-Unis. Il n'est pas le jeune écervelé, l'artiste pitoyable qu'il donne à montrer. Sa danse, celle du cheval qui piétine ou du cavalier à lasso, on ne sait plus, lui a demandé des semaines de réflexion. « J'ai essayé d'imiter tous les animaux possibles et imaginables et finalement, c'est celle ci, celle du cheval qui m'a semblé la plus ridicule ». Une pitrerie assumée et qui donc a du sens.
Psy, par le passé, a été condamné pour consommation de marijuana. Son deuxième album a été retiré de la vente pour « propos inappropriés » et ces derniers lui ont valu une lourde amende. La Corée du Sud n'est pas réputée pour sa largesse d'esprit dès lors qu'il s'agit de critiquer sa société. Culturellement, ses artistes veillent à rester dans les clous.
D'ailleurs que disent les paroles de Gangnam Style ? Oh, rien de bien sulfureux pour nous occidentaux. Dans le portrait qu'il fait des jeunes femmes du quartier, il dit :
« Une fille qui a l'air discrète mais sait s'amuser quand elle joue
Une fille qui laisse ses cheveux lâchés quand le bon moment arrive
Une fille qui s'habille entièrement mais est plus sexy qu'une fille qui dévoile tout ».
Pour ce qui est des hommes de Gangnam, il chante,
« Je suis un gars qui semble calme mais sait s'amuser quand il joue
Un gars qui devient complètement fou quand arrive le bon moment
Un gars qui a beaucoup d'idées plutôt que des muscles ».
Pas de quoi fouetter un chat, donc, mais suffisamment pour secouer les consciences d'une jeunesse coréenne qui ne profite pas des richesses du pays et de son taux de croissance à deux chiffres. Gangnam cristallise à lui seul ce ressentiment. La chanson surfe sur la vague et a connu, dans un premier temps, un formidable écho sur le plan national.
Après, est venu le buzz. Mais la mondialisation du clip s'est construite sur l'énergie, voire la rage, que dégage Psy dans son interprétation. À l'origine, son propos n'est pas de faire le guignol ou la fête mais bien de dénoncer une élite qui se gave. Cela méritait d'être traduit.