lundi 22 octobre 2012

Tolède la capitale

Tolède. Géographiquement, la ville se situe pile au centre de la péninsule ibérique. Un centre de gravité intellectuel au regard de l'Histoire avec un grand H.
En effet, c'est ici qu’à partir du 12ème siècle, les traducteurs juifs, musulmans et chrétiens on dressé des ponts entre les civilisations. C'est là qu’en termes de savoir, l'Occident latin établit la jonction avec l'Orient grec.

Sans traducteurs, il n'est point de connaissances qui circulent.

Pour comprendre, revenons en 1085, en Castille, à Tolède précisément. Les Berbères musulmans occupent la ville depuis plus de trois siècles lorsqu'ils en sont chassés par les croisés du roi chrétien Alphonse VI.  L'Espagne, qui ne s'appelle pas encore ainsi, organise sa Reconquête, se réapproprie ses territoires, mais pas seulement. Elle entend également se doter des connaissances dont disposent les Arabes dans des domaines aussi vastes que l'algèbre, la géométrie, les mathématiques, la botanique, la météorologie, la médecine, la philosophie, les arts et la théologie. Tout ce savoir est consigné dans des parchemins, des livres, des codex laissés en vrac par l'occupant, dans les maisons, les mosquées, les bibliothèques.

Forts de leurs érudits juifs arabophones, de leurs mozarabes (chrétiens de langue arabe) et de leurs intellectuels issus de la noblesse locale et du haut clergé, les castillans se lancent dans une  vaste opération de « capture » des connaissances.  Il faut traduire pour combler au plus vite le fossé qui les sépare des musulmans depuis près de deux siècles.
En effet, les Arabes ont ouvert depuis longtemps des Maisons de la Sagesse, dont la plus illustre est celle de Bagdad, créée en 812 autour de l'imposante collection de livres du Calife Haroun al-Rachid.
Dans ces collèges, astronomes, penseurs, traducteurs, mathématiciens et théologiens de tout bord se regroupent. Chacun profite des connaissances de l'autre pour approfondir sa spécialité.

Le Savoir, pour quoi faire puisque Dieu, Jésus et le Saint-Esprit sont à l'origine de tout, à commencer par notre propre existence ?

Dans l'histoire de l'Humanité, les Arabes sont les premiers à regrouper le savoir de plusieurs civilisations. Pour eux, le socle de ce savoir est constitué des textes de la Grèce antique. Ils ne les ont pas seulement traduits, ils les ont également étudiés, commentés, enrichis. Au 12ème siècle, si l'on excepte l'Empire byzantin, ils possèdent une avance considérable sur l'Occident dans la plupart des disciplines scientifiques. Cette ouverture au monde s'oppose à l'obscurantisme chrétien. En Occident, l'Eglise a accaparé le savoir, qu'elle confine dans les monastères en se gardant bien de le diffuser. A quoi bon puisque Dieu, Jésus et le Saint-Esprit sont à l'origine de tout, à commencer par notre propre existence ?

En 1135, l'archevêque de Tolède, le Français Raymond de Toulouse, est chargé de faire traduire les textes scientifiques arabes en latin. Pour cela, il nomme un traducteur en chef,  l'archidiacre Dominique Gundisalvi, un Français lui aussi, qui, problème, ne parle pas l'arabe... Gundisalvi loue alors les services de « traducteurs adjoints » qui se composent d'intellectuels de toutes origines et de toutes confessions. Parmi les plus fameux, on trouve le mathématicien espagnol Jean de Séville, grâce à qui l'Occident accède au zéro et aux maths modernes. Un peu plus tard,  Gerardo di Cremona, venu d'Italie, apprend l'arabe pour traduire de nombreux ouvrages, dont le fameux Almageste, traité fondamental d'astronomie du savant grec Ptolémée ainsi que plusieurs œuvres majeures du philosophe Aristote comme la Physique ou Du ciel et du monde. 
Ce que certains historiens vont appeler à tort « L'école des traducteurs de Tolède » désigne en fait un élan généralisé de la traduction de l'arabe vers le latin classique dans tout le nord de la péninsule ibérique. Cet élan se concentre à Tolède, mais pas seulement. On traduit beaucoup en Galice, à Saragosse, à Barcelone.

Le plus souvent, les textes en arabe sont d'abord traduits en latin populaire, le patois local, avant d'être transposés en latin classique, qui devient implicitement la norme des textes scientifiques occidentaux. Au 13ème siècle, toujours à Tolède, le roi Alphonse X, érudit, profite de cette « vague » de traduction pour « unifier »  le stade intermédiaire entre l'arabe et le latin classique. Il intervient lui-même dans les corrections de textes et pose les bases de ce qui va devenir une langue moderne, parlée aujourd'hui par un demi-milliard d'êtres humains : le castillan, autrement dit l'espagnol...

pour Translateo.