jeudi 18 avril 2013

LE MARIAGE INCOMPRIS

Nous sommes à la mairie du 12ème arrondissement de Paris, sous les lambris de la République.
Felipe écoute le discours du maire d'un air pénétré. Dans quelques instants, il sera marié à Véronique. Sa mère, ses deux sœurs et un oncle sont tout spécialement venus de Santiago. Felipe est chilien, son témoin aussi, arrivé de New York, où il travaille comme photographe.

De temps à autre, Véronique se penche à l'oreille de Felipe et lui murmure quelques mots en espagnol. Il dodeline alors de la tête tout en conservant son air grave. Enfin, les amoureux se disent « oui », les voilà unis pour la vie.

Lors des noces, fort réussies, je constate que Felipe ne parle pas un mot de français. Et je me pose cette question : comment peut-on se marier sans rien comprendre à ce qui est dit ?
Au regard de la loi, il aurait fallu la présence d'un traducteur assermenté rémunéré par les époux. Mais l'officier d'état civil qui a rencontré Felipe et Véronique quelques jours avant la cérémonie ne l'a pas jugé nécessaire. « C'est à son bon vouloir, reconnaît Véronique, il nous a reçu aimablement, quelques minutes, sans même vérifier que la photo du dossier correspondait à celle de Felipe. Le fait qu'il soit chilien a grandement facilité les choses ».

En France, chaque année, près de 40 000 mariages mixtes (entre une personne française et un étranger) sont célébrés, soit 13% des unions, un chiffre sans cesse en augmentation.
Si Felipe avait été chinois, iranien, zambien ou bulgare, les choses auraient été différentes. Quelle que soit sa nationalité, l'étranger qui souhaite se marier en France doit fournir plusieurs documents de son pays d'origine : un acte de naissance de moins de 6 mois ainsi qu'un certificat de coutume qui atteste que l'époux est majeur, célibataire et non placé sous tutelle.

« La liste des traducteurs et leurs tarifs sont disponibles sur Internet, mais gare aux arnaques, beaucoup se proclament assermentés alors qu'ils ne le sont pas ».

Ces papiers doivent être rédigés en français par un traducteur assermenté auprès du Tribunal de Grande Instance. Il faut compter une quarantaine d'euros par document. « La liste des traducteurs et leurs tarifs sont disponibles sur Internet, mais gare aux arnaques, beaucoup se proclament assermentés alors qu'ils ne le sont pas », explique Véronique.

Lors de l'entretien préalable obligatoire avec les futurs époux, l'officier d'état civil peut réclamer la présence d'un traducteur si l'un des deux ne parle pas français. Coût de l'intervention : 250 euros. Idem pour la cérémonie.  « En nous passant de tels services, nous avons économisé 500 euros », se réjouit Véronique, « l'officier de mairie a été sensible à deux choses : la première, c'est que je parle couramment espagnol, et que Felipe et moi sommes donc en mesure de nous comprendre parfaitement. La seconde, c'est que Felipe est inscrit à des cours de français et qu'il montre ainsi son désir d'intégration ». 

En réalité, l'officier d'état civil fait appel à un traducteur lorsqu'il y a suspicion de mariage blanc ou forcé. Il peut, par exemple, s'entretenir séparément avec les époux pour vérifier l’authenticité de leur amour, leur demander des détails sur leur rencontre, leurs projets et recouper leurs témoignages. En cas de doute, il peut en aviser la préfecture. Une lourde responsabilité assumée avec plus ou moins de légèreté selon qu'il s'agisse de telle ou telle nationalité.

Prenons le cas d'un Français qui fait la connaissance d'une Ukrainienne sur un site de rencontres via son ordinateur. Leurs échanges se font dans un anglais approximatif et débouchent rapidement sur un projet d'union. Autre possibilité, une Française s'amourache d'un Dominicain lors d'un séjour à Punta Cana, qui la rejoint à Paris muni d'un visa de tourisme en vue d'un mariage... Quelles sont les motivations des uns et des autres ? Dans certains cas, la présence du traducteur s'avère indispensable pour démêler le vrai du faux. Sur les forums dédiés, des internautes s'insurgent contre ce « délit de nationalité » et pestent contre le zèle de certains fonctionnaires. « Demande-t-on la présence d'un traducteur pour les sourds ou les non-voyants ?», s'insurge l'un d'eux, un brin démagogue, sur le site russie.net, en oubliant que cette fois, l'administration n'a qu'une idée en tête, faire triompher l'amour... 


mercredi 10 avril 2013

David Bowie

LA MORT LUI VA SI BIEN

Il n'avait rien à prouver, juste des choses à dire. Avec l'album « The Next Day », le come-back de David Bowie fait grand bruit. Cela faisait près de dix ans que l'icône pop s'était tue. La faute à une crise cardiaque survenue en 2004, qui a montré à l'artiste qu'il était mortel. On ne voit plus l'existence de la même manière lorsque la mort est venue vous faire des guili-guili...
Voici donc « The Next Day », un titre d'album qui suscite déjà des interrogations de traducteur : de quel jour parle-t-il ? S'agit-il du « prochain jour », celui justement où la Grande Faucheuse ne le ratera pas ? Ou du « lendemain », ce jour qui s'accroche à « aujourd'hui » et deviendra « hier » ? Bowie n'est pas qu'une star du rock, c'est surtout un poète. Pour les critiques du monde entier, les paroles de ses chansons ont autant d'importance que ses mélodies. Alors qu’il évite les interviews et renâcle à parler de lui-même, il propose ici des textes dont les thèmes évoqués s'articulent autour de l'inéluctable fin, des infortunes de la célébrité et du désespoir de vivre. Et même s'il s'en défend, c'est bien de lui dont il parle dans cet album.
Bien sûr, Bowie brouille les cartes, il utilise rarement la première personne et met en scène « un autre » dans ses fictions. Pour s'en rendre compte, nous avons choisi 4 chansons emblématiques de cet opus très réussi. D'abord, « The Next Day », le titre éponyme, qui permet à l'Anglais de régler ses comptes avec ceux qui l'ont enterré un peu trop vite :
Ignorant la douleur de leurs propres maladies
Ils le chassent à travers les allées, le traque jusqu'en bas des escaliers.
Ils le traînent dans la boue et ils chantent pour sa mort
Et le déposent aux pieds d'un prêtre coiffé de violet
Qui sont ceux qui le chassent ? La presse, le showbiz, sa famille, ses proches ? En refrain, presque clamée, sans pathos mais avec beaucoup de rage, revient cette confession :
Me voici
Pas totalement mourant
Mon corps pourrit dans un arbre creux
Ses branches dessinent des ombres
Sur les potences qui m’attendent.
Et le prochain jour,
Et le suivant
Et le jour d'après
Avec ses 17 morceaux, « The Next Day » forme une fresque musicale dont le titre « The stars are out tonight » est probablement la pièce maîtresse. Ici, Bowie joue avec le mot « star », il en fait un miroir dans lequel se reflètent les deux sens du terme : célébrité et étoile. Son texte est une allégorie qui fait de lui un astre de chair et de sang.

Elles vous brûlent de leurs sourires radieux
Elles vous piègent avec leurs yeux magnifiques
Elles sont cassées et honteuses ou ivres et apeurées
Mais j'espère qu'elles vivront pour toujours.
Leur jalousie se déverse
Les étoiles doivent se serrer les coudes
Nous ne serons jamais débarrassés de ces étoiles
Mais j'espère qu'elles vivront pour toujours

La mort rôde encore entre ces lignes. Un astre peut sembler éternel à l'échelle de l'humanité, mais il n'en reste pas moins mortel. Même le Soleil finira par s'éteindre. 

Mais le morbide atteint son paroxysme avec « Valentine's day ». Dans cette chanson, Bowie raconte les états d'âme d'un ado sur le point de commettre un carnage dans son lycée. Le jour de la Saint‑Valentin fait allusion au massacre du même nom, très ancré dans la culture américaine : l'exécution de 7 gangsters en 1929 par les hommes d'Al Capone à Chicago.
Valentin m'a dit qui s'en va
Les sentiments qu'il éprouve pour la plupart
Les professeurs et les stars de football
C'est dans sa toute petite tête
C'est entre ses mains décharnées
Valentin a vendu son âme
Il a quelque chose à dire
C'est le jour de Valentin

La chanson livre le témoignage d'une Expérience de Mort Imminente. Bowie n'est plus, il s'imagine « partir » et raconte l'absurdité de l'instant.

Cette chanson a soulevé une polémique dans la presse outre-Manche, qui reproche à Bowie sa réelle empathie pour le tueur, certes fictif, mais dont il semble comprendre, voire légitimer la folie meurtrière. Politiquement incorrecte, la chanson « Valentine's day » rappelle qu'à la fin des années 70, rongé par les drogues, Bowie avait choqué le monde entier en déclarant qu'Hitler était une rock star. Des propos toujours reniés par la suite.
Terminons par « Heat », considérée par les spécialistes comme un chef-d’œuvre du maître. Bowie la chante sur un ton incantatoire, il tord sa voix pour accentuer l'effet fantomatique de son texte. Heat, chaleur, sonne comme une Expérience de Mort Imminente. Bowie n'est plus, il s'imagine « partir » et raconte l'absurdité de l'instant.
Alors, nous avons vu notre sombre mission
Pris au piège entre les rochers
Retenant la chute d'eau
Les chansons de poussières
Le monde finira
La nuit est tombée pour toujours
Un paon dans la neige.
Et je me dis à moi-même, je ne sais pas qui je suis

Bowie emploie le « nous » comme s'il n'était pas le seul à faire le « voyage ». Et lorsqu'il dit « je ne sais plus qui je suis », c'est bien qu'il croit à un au-delà où tout serait à refaire, jusqu'à son identité.
Subtil, presque philosophique, « The Next Day » s'écoute autant qu'il se pense.

pour Translateo






Du 23 Mars au 11 Août 2013. Le Victoria and Albert Museum de Londres expose les archives de l'artiste. Découvrez le site de cette exposition en cliquant sur le lien suivant : David Bowie is