mardi 27 mars 2012

Maman, j'ai raté mon titre !


Dans le vaste domaine de la traduction, les titres de films occupent un genre à part. On ne sait plus d'ailleurs s'il est préférable de parler d'adaptation plutôt que de traduction tant, parfois, le titre original n'a plus rien à voir avec le titre en français. En fait, le titre d'un film étranger distribué en France est l'affaire... du distributeur. Simple. Comment s'y prend-t-il ? En général, il réunit une équipe de « créas » avec laquelle il brainstorme sans s'imposer de règles... de traduction. Un peu de sémantique, pas mal de marketing, une pincée d'air du temps et le tour est joué.

En ce moment, vous l'aurez remarqué, la tendance est au titre original en anglais traduit en anglais mais avec un autre titre. Prenez l'emblématique Very Bad Trip. On peut penser qu'il s'agit du titre original mais non, le « vrai » est The Hangover, la gueule de bois. Le sens est-il respecté ? Oui, même si le « français » renvoie aux drogues dures (les héros du film prennent du GHB) alors que l'« américain » se focalise sur l'alcool.
En vérité, Very Bad Trip est terriblement efficace. Il regroupe trois mots courts et fonctionne comme une formule immédiatement assimilable.
Les Américains font pareil avec nos films. La Môme, par exemple, est rebaptisé La Vie en Rose, tandis que Cloclo devient My Way...

 
De la même façon, on constate que les films destinés aux ados arborent souvent un titre en anglais jugé plus tonique et plus branché. American Pie, Scream, Saw, Fame, Flashdance, Dirty Dancing, Stuart Little, Big Mamma, Basket Academy, Girls of America sont quelques exemples parmi des milliers d'autres.

S'il devait sortir aujourd'hui, Vol au-dessus d'un nid de coucou pourrait s'appeler La Clinique de l'enfer ou Bienvenue chez les dingues...

En 1980, Y a-t-il un pilote dans l'avion ? (ou Airplane ! dans sa version originale), a ouvert une nouvelle voie. Celle du titre en Yatil. Le film a eu un tel succès en France à l'époque que des petits malins développent le concept avec Y a-t-il quelqu'un pour sauver la reine ? (The Naked Gun). Suit une interminable liste de navets jusqu'au dernier recensé, Y a-t-il quelqu'un pour tuer ma femme ? (Ruthless People) avec Danny DeVito et Bette Midler en 2006.

Dans les années 90, des mots ont surgi, suscitant un engouement irrationnel à la manière de prénoms à la mode. On les a déclinés à toutes les sauces. Prenez le mot « piège ». Il est à l'affiche en 1988 avec Piège de Cristal (Die Hard). Peu de temps après, en 1992,  il remplit les salles avec Piège en haute Mer (Under Siege) et devient, dès lors, le mot magique à coller partout.
Il n'est pas le seul. « Enfer » concerne à peu près tout et n'importe quoi, l'Enfer du dimanche (Any Given Sunday), du devoir (Rules of Engagement), des zombies (Zombies 2), une journée en enfer (Die Hard with a Vengeance), les Ailes de l'enfer (Con Air), etc.
Un autre ? « Bienvenue ». Si le titre original désigne une ville, une région, un endroit, le traducteur se charge de le faire précéder du mot « bienvenue ». Bienvenue à Gattaca (Gattaca), Bienvenue au cottage (The Cottage), Bienvenue à Zombieland (Zombieland), Bienvenue à Cedar Rapids (Cedar Rapids), Bienvenue à Monte Carlo (Monte Carlo), ne représentent qu'un petit échantillon de cette fâcheuse manie. 

Plus rigolo encore, les titres de films asiatiques. Sur les forums, les amateurs se plaignent des libellés à la française qui fleurent bon le cliché. Le long métrage du Sud-Coréen Hong Sang-soo (sortie de 16 mai) aura pour titre Matins calmes à Séoul alors que le titre original est The Day He Arrives. Pour la petite histoire, l'essentiel du film se déroule la nuit...

Pour se rendre alléchants, les titres de films se doivent de claquer comme des slogans, quitte à s'asseoir sur la poésie : quelle serait aujourd'hui la traduction de A Flew Over The Cuckoo's Nest (Vol au-dessus d'un nid de coucou) en supposant que le chef d'œuvre de Milos Forman - sorti en 1975 - soit distribué aujourd'hui en France ? Je vous laisse choisir entre La Clinique de l'enfer, Piège à l'hôpital, Underpressure (Sous Pression), L'affaire McMurphy (le nom de Jack Nicholson dans le film), Le Nid du Coucou, et un dramatique Bienvenue chez les dingues...

Nicolas Roiret
pour Tanslateo.

vendredi 16 mars 2012

L'interprète se met à table



« Je suis chez moi, je corrige un texte sur l'ordinateur, quand mon portable sonne. Il est midi. C'est la police, elle veut savoir si je suis disponible immédiatement. Je dis oui et je fonce au commissariat. Là, l'officier de police judiciaire me désigne l'intéressé.
L'homme mesure dans les deux mètres, son tee-shirt est maculé de sang. Il sort de cellule de dégrisement. Hier soir, les policiers l'ont interpellé alors qu'il participait à une rixe sur le parking d'une discothèque. Il affirme être Polonais mais n'a aucun papier sur lui.

Dès lors, je deviens la « voix » des policiers qui l'interrogent, je relaie leurs demandes et je traduis les réponses. Dans ce cas précis, le gardé à vue parle un polonais probablement maternel, pur et sans accent. Il se dit chef d'une entreprise en bâtiment basée à Lodz.
Concernant les événements de la veille, il soutient ne se souvenir de rien. La raison de sa présence en France ? « Le tourisme ». Et où réside t-il ? « A l'hôtel, près de la gare, c'est là, d'ailleurs, que j'ai laissé mes papiers d'identité ».
Le colosse est alors emmené jusqu'à sa chambre, dans un modeste deux étoiles. Je participe à la perquisition. Les enquêteurs mettent la main sur son passeport mais aussi sur 8000 euros en coupures de 500. 16 billets bleus étalés sur la table basse. L'individu explique que ce sont ses économies, son budget vacances. Son calme m'impressionne. Je devine qu'il est rodé à ce genre de situation mais je n'en dis rien. Je suis impartiale, j'ai prêté serment.

Je ne sais jamais dans quelle histoire je vais être embarquée. Cela peut être un interrogatoire, l'audition d'écoutes téléphoniques, la traduction de notes sur un agenda...

 
J'ai 38 ans, je suis Polonaise et je vis en France depuis quinze ans. Mariée à un Breton, mère de deux petits Français, je travaille chez moi comme traductrice indépendante. En 2008, pour rompre avec une relative monotonie professionnelle, j'ai fait une demande auprès du Tribunal de Grande Instance pour devenir traducteur expert auprès de la police. Un CV, une lettre de motivation ont suffi à mon recrutement. Mon nom et mes coordonnées ont ensuite été intégrés à une liste mise à la disposition des forces de l'ordre. Lorsque je suis appelée, je fais l'objet d'une réquisition. En général, on me demande si je suis disponible mais il arrive que l’on ne me laisse pas le choix. Dans ce cas, je dois m'interrompre dans mes activités et rejoindre sans délai le commissariat. 

Chaque fois que je pars sur une opération, je ressens comme une excitation. Je ne sais jamais dans quelle histoire je vais être embarquée. Cela peut être un interrogatoire, l'audition d'écoutes téléphoniques, la traduction de notes sur un agenda... Il peut s'agir d'une femme, d'une prostituée, d'une touriste fortunée, mais ce sont souvent des hommes, issus de toutes les classes de la société polonaise. En quatre années de confrontations avec mes compatriotes, j'ai surtout appris cela : ne pas se fier aux apparences, aller au delà de ses préjugés.

Lorsque j'entre en action, que je me fais l'interprète des deux camps, je me concentre uniquement sur la partie qui s'engage. Lorsqu'elle s'achève, je m'oblige à l'oublier. La fréquence des réquisitions est très aléatoire. Je peux ne pas être appelée pendant deux mois puis enchaîner les missions au fil des semaines. Je ne fais pas cela pour l'argent, même si nous sommes correctement défrayés.  Chaque fois, de retour à la maison, j'apprécie un peu plus les petits bonheurs de la vie. J'éprouve ce sentiment inexplicable d'avoir été utile dans un monde qui n'est pas le mien ».

Nicolas Roiret