« Je suis chez moi, je corrige un texte sur l'ordinateur, quand mon portable sonne. Il est midi. C'est la police, elle veut savoir si je suis disponible immédiatement. Je dis oui et je fonce au commissariat. Là, l'officier de police judiciaire me désigne l'intéressé.
L'homme mesure
dans les deux mètres, son tee-shirt est maculé de sang. Il sort de cellule de
dégrisement. Hier soir, les policiers l'ont interpellé alors qu'il participait
à une rixe sur le parking d'une discothèque. Il affirme être Polonais mais n'a
aucun papier sur lui.
Dès lors, je
deviens la « voix » des policiers qui l'interrogent, je relaie leurs
demandes et je traduis les réponses. Dans ce cas précis, le gardé à vue parle
un polonais probablement maternel, pur et sans accent. Il se dit chef d'une
entreprise en bâtiment basée à Lodz.
Concernant les
événements de la veille, il soutient ne se souvenir de rien. La raison de sa
présence en France ? « Le tourisme ». Et où réside t-il ?
« A l'hôtel, près de la gare, c'est là, d'ailleurs, que j'ai laissé mes
papiers d'identité ».
Le colosse est alors emmené
jusqu'à sa chambre, dans un modeste deux étoiles. Je participe à la
perquisition. Les enquêteurs mettent la main sur son passeport mais aussi sur
8000 euros en coupures de 500. 16 billets bleus étalés sur la table basse.
L'individu explique que ce sont ses économies, son budget vacances. Son calme
m'impressionne. Je devine qu'il est rodé à ce genre de situation mais je n'en
dis rien. Je suis impartiale, j'ai prêté serment.
Je ne sais jamais dans quelle histoire je vais être embarquée. Cela peut
être un interrogatoire, l'audition d'écoutes téléphoniques, la traduction de
notes sur un agenda...
J'ai 38 ans, je
suis Polonaise et je vis en France depuis quinze ans. Mariée à un Breton, mère
de deux petits Français, je travaille chez moi comme traductrice indépendante.
En 2008, pour rompre avec une relative monotonie professionnelle, j'ai fait une
demande auprès du Tribunal de Grande Instance pour devenir traducteur expert
auprès de la police. Un CV, une lettre de motivation ont suffi à mon
recrutement. Mon nom et mes coordonnées ont ensuite été intégrés à une liste
mise à la disposition des forces de l'ordre. Lorsque je suis appelée, je fais
l'objet d'une réquisition. En général, on me demande si je suis disponible mais
il arrive que l’on ne me laisse pas le choix. Dans ce cas, je dois
m'interrompre dans mes activités et rejoindre sans délai le commissariat.
Chaque fois que
je pars sur une opération, je ressens comme une excitation. Je ne sais jamais
dans quelle histoire je vais être embarquée. Cela peut être un interrogatoire,
l'audition d'écoutes téléphoniques, la traduction de notes sur un agenda... Il
peut s'agir d'une femme, d'une prostituée, d'une touriste fortunée, mais ce
sont souvent des hommes, issus de toutes les classes de la société polonaise.
En quatre années de confrontations avec mes compatriotes, j'ai surtout appris
cela : ne pas se fier aux apparences, aller au delà de ses préjugés.
Lorsque j'entre en action,
que je me fais l'interprète des deux camps, je me concentre uniquement sur la
partie qui s'engage. Lorsqu'elle s'achève, je m'oblige à l'oublier. La
fréquence des réquisitions est très aléatoire. Je peux ne pas être appelée
pendant deux mois puis enchaîner les missions au fil des semaines. Je ne fais
pas cela pour l'argent, même si nous sommes correctement défrayés. Chaque fois, de retour à la maison,
j'apprécie un peu plus les petits bonheurs de la vie. J'éprouve ce sentiment
inexplicable d'avoir été utile dans un monde qui n'est pas le mien ».
Nicolas Roiret
pour Translateo
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