lundi 4 février 2013

LE SENS DU RIDICULE (Gangnam Style)


À l'instant où nous écrivons ces lignes, la chanson de Psy, Gangnam Style, a été vue 1 265 090  687 fois sur Youtube. Mise en ligne le 15 juillet, elle génère en moyenne plus de 6 millions de clics par jour, 71 par seconde... Avant la fin de l'année 2012, ce clip sera le premier dans l'histoire du web à dépasser le milliard de connections. Un record réalisé en moins de six mois.
Statistiquement, un Terrien sur 7 a demandé à voir ces 4 minutes et 13 secondes de délire intense. Ce qui, vous en conviendrez, soulève quelques questions, la première étant, « pourquoi le Gangnam Style est-il si consensuel ? ». 




Un rythme dansant, une chorégraphie originale, festive et facile à reproduire, un chanteur tout en rondeur, une pincée de grotesque, un décor post-modern, des couleurs acidulées et le tour est joué ?
Sur la télé américaine Fox News, le psychiatre Keith Ablow croit savoir pourquoi les masses cliquent frénétiquement sur cette chanson : parce qu'elles n'y comprennent rien. 
Il voit en Psy, « le fils de Facebook », un opportuniste « qui puise dans le manque de sens » dont se gargarise aujourd'hui les gens. 
Pas si simple. Car ce qui, au premier abord, ressemble à une farce, est en fait une satire à la sauce sud-coréenne. Psy, se moque des filles et fils à papa, friqués et futiles de Gangnam-Gu, un quartier de Séoul. Gangnam, le sud du fleuve en coréen, est l'endroit où se concentrent les sièges sociaux des grandes entreprises du pays ainsi que les bars et les discothèques les plus hypes de la capitale. Rapporté à Paris ce serait un mélange de la Défense, du triangle Neuilly-Auteuil-Passy, de l'Étoile et de Saint-Germain concentrés dans le même périmètre, un endroit où l'on fait des affaires, où l'on dépense son argent et accessoirement, où l'on peut s'encanailler.

La chanson traduit le ressentiment d'une jeunesse coréenne qui ne profite pas des richesses du pays et de son taux de croissance à deux chiffres.

Psy, de son vrai nom Park Jae-Sang, trentenaire, a étudié à Boston, aux États-Unis. Il n'est pas le jeune écervelé, l'artiste pitoyable qu'il donne à montrer. Sa danse, celle du cheval qui piétine ou du cavalier à lasso, on ne sait plus, lui a demandé des semaines de réflexion. « J'ai essayé d'imiter tous les animaux possibles et imaginables et finalement, c'est celle ci, celle du cheval qui m'a semblé la plus ridicule ». Une pitrerie assumée et qui donc a du sens.
Psy, par le passé, a été condamné pour consommation de marijuana. Son deuxième album a été retiré de la vente pour « propos inappropriés » et ces derniers lui ont valu une lourde amende. La Corée du Sud n'est pas réputée pour sa largesse d'esprit dès lors qu'il s'agit de critiquer sa société. Culturellement, ses artistes veillent à rester dans les clous.
D'ailleurs que disent les paroles de Gangnam Style ? Oh, rien de bien sulfureux pour nous occidentaux. Dans le portrait qu'il fait des jeunes femmes du quartier, il dit :
« Une fille qui a l'air discrète mais sait s'amuser quand elle joue
Une fille qui laisse ses cheveux lâchés quand le bon moment arrive
Une fille qui s'habille entièrement mais est plus sexy qu'une fille qui dévoile tout ».
Pour ce qui est des hommes de Gangnam, il chante,
« Je suis un gars qui semble calme mais sait s'amuser quand il joue
Un gars qui devient complètement fou quand arrive le bon moment
Un gars qui a beaucoup d'idées plutôt que des muscles ».
Pas de quoi fouetter un chat, donc, mais suffisamment pour secouer les consciences d'une jeunesse coréenne qui ne profite pas des richesses du pays et de son taux de croissance à deux chiffres. Gangnam cristallise à lui seul ce ressentiment. La chanson surfe sur la vague et a connu, dans un premier temps, un formidable écho sur le plan national.
Après, est venu le buzz. Mais la mondialisation du clip s'est construite sur l'énergie, voire la rage, que dégage Psy dans son interprétation. À l'origine, son propos n'est pas de faire le guignol ou la fête mais bien de dénoncer une élite qui se gave. Cela méritait d'être traduit. 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"l'endroit où se concentreNT"