À l'instant où nous écrivons ces
lignes, la chanson de Psy, Gangnam Style, a été vue 1 265 090 687 fois
sur Youtube. Mise en ligne le 15 juillet, elle génère en moyenne plus de 6 millions
de clics par jour, 71 par seconde... Avant la fin de l'année 2012, ce clip
sera le premier dans l'histoire du web à dépasser le milliard de connections.
Un record réalisé en moins de six mois.
Statistiquement, un Terrien sur 7
a demandé à voir ces 4 minutes et 13 secondes de délire intense. Ce qui, vous
en conviendrez, soulève quelques questions, la première étant, « pourquoi
le Gangnam Style est-il si consensuel ? ».
Un rythme dansant, une
chorégraphie originale, festive et facile à reproduire, un chanteur tout en rondeur,
une pincée de grotesque, un décor post-modern, des couleurs acidulées et le
tour est joué ?
Sur la télé américaine Fox News,
le psychiatre Keith Ablow croit savoir pourquoi les masses cliquent
frénétiquement sur cette chanson : parce qu'elles n'y comprennent
rien.
Il voit en Psy, « le fils de
Facebook », un opportuniste « qui puise dans le manque de sens »
dont se gargarise aujourd'hui les gens.
Pas si simple. Car ce qui, au
premier abord, ressemble à une farce, est en fait une satire à la sauce
sud-coréenne. Psy, se moque des filles et fils à papa, friqués et futiles de
Gangnam-Gu, un quartier de Séoul. Gangnam, le sud du fleuve en coréen, est
l'endroit où se concentrent les sièges sociaux des grandes entreprises du pays
ainsi que les bars et les discothèques les plus hypes de la capitale. Rapporté
à Paris ce serait un mélange de la Défense, du triangle Neuilly-Auteuil-Passy,
de l'Étoile et de
Saint-Germain concentrés dans le même périmètre, un endroit où l'on fait des
affaires, où l'on dépense son argent et accessoirement, où l'on peut
s'encanailler.
La chanson traduit le
ressentiment d'une jeunesse coréenne qui ne profite pas des richesses du pays
et de son taux de croissance à deux chiffres.
Psy, de son vrai nom Park
Jae-Sang, trentenaire, a étudié à Boston, aux États-Unis. Il n'est pas le jeune
écervelé, l'artiste pitoyable qu'il donne à montrer. Sa danse, celle du cheval
qui piétine ou du cavalier à lasso, on ne sait plus, lui a demandé des semaines
de réflexion. « J'ai essayé d'imiter tous les animaux possibles et
imaginables et finalement, c'est celle ci, celle du cheval qui m'a semblé la
plus ridicule ». Une pitrerie assumée et qui donc a du sens.
Psy, par le passé, a été condamné
pour consommation de marijuana. Son deuxième album a été retiré de la vente
pour « propos inappropriés » et ces derniers lui ont valu une lourde
amende. La Corée du Sud n'est pas réputée pour sa largesse d'esprit dès lors
qu'il s'agit de critiquer sa société. Culturellement, ses artistes veillent à
rester dans les clous.
D'ailleurs que disent les paroles
de Gangnam Style ? Oh, rien de bien sulfureux pour nous occidentaux. Dans
le portrait qu'il fait des jeunes femmes du quartier, il dit :
« Une fille qui a l'air
discrète mais sait s'amuser quand elle joue
Une fille qui laisse ses cheveux
lâchés quand le bon moment arrive
Une fille qui s'habille
entièrement mais est plus sexy qu'une fille qui dévoile tout ».
Pour ce qui est des hommes de
Gangnam, il chante,
« Je suis un gars qui semble
calme mais sait s'amuser quand il joue
Un gars qui devient complètement
fou quand arrive le bon moment
Un gars qui a beaucoup d'idées
plutôt que des muscles ».
Pas de quoi fouetter un chat,
donc, mais suffisamment pour secouer les consciences d'une jeunesse coréenne
qui ne profite pas des richesses du pays et de son taux de croissance à deux
chiffres. Gangnam cristallise à lui seul ce ressentiment. La chanson surfe sur
la vague et a connu, dans un premier temps, un formidable écho sur le plan
national.
Après, est venu le buzz. Mais la
mondialisation du clip s'est construite sur l'énergie, voire la rage, que
dégage Psy dans son interprétation.
À l'origine, son propos n'est pas de faire le guignol ou la fête mais
bien de dénoncer une élite qui se gave. Cela méritait d'être traduit.
1 commentaire:
"l'endroit où se concentreNT"
Enregistrer un commentaire