Les promesses d'une utopie
New York, le 7
janvier 1954. Le gratin du
journalisme est convié dans les locaux
de la société IBM
pour assister à une
démonstration inédite et pleine de promesses.
Initiée par le
gouvernement américain,
sous la houlette
de l'Université de
Georgetown, elle vise
à prouver qu'une machine
peut comprendre une
langue étrangère.
Imaginez-vous une
scène pour le moins
vintage, où l'ordinateur à la taille d'un
buffet de salon
et se nourrit de
cartes perforées.
L'assistance retient son souffle. Devant elle, l'IBM 701, le
calculateur le plus puissant du monde, traduit en anglais des formules
chimiques, des théorèmes mathématiques et des citations philosophiques écrites
en russe.
A l'époque,
l'affaire fait grand bruit et nourrit un climat d'émerveillement technologique.
Beaucoup, dans cette avancée, voient le début d’une ère nouvelle, la fin des
barrières linguistiques qui mènent à l'incompréhension entre les peuples.
Placée en une de
tous les journaux, l'expérience révèle au grand public l'existence même des
ordinateurs, ces machines semblables à des « super cerveaux », une
formule médiatique qui fait mouche. Au début des années 50, le modernisme
fascine car il n'a pas encore montré ses limites.
Dans l'ombre, la CIA et le ministère
de la Défense américain partagent ce bel enthousiasme, mais pour d'autres
raisons. La Guerre Froide nécessite de gros moyens en traduction. La course
folle que se livrent l’URSS et les USA dans l'armement, la fission de l'atome et la conquête de l'espace obligent chaque
camp à traduire ce que l'autre édite. L'engorgement guette.
En 1954, tous les espoirs se tournent
alors vers la traduction automatique. La communauté scientifique est chargée
d'achever le travail entamé jusqu'alors. Les crédits sont débloqués. Tout le
monde y croit. Y compris les Russes qui, de leur côté, lancent un vaste
programme pour résoudre l'énigme du langage.
Les ingénieurs
raisonnent « message à casser », ils partent du principe qu'une
langue est un code.
Car c'est ainsi que le problème est
posé. Comment réduire une langue à une série d'équations mathématiques, en
prendre le contrôle et la faire parler. Pour cela, et dans une logique fort militaire,
les ingénieurs raisonnent « message à casser ». Ils partent du principe
qu'une langue est un code, complexe certes, mais un code auquel doit répondre
un autre code chargé de le traduire. Cette certitude va durer 4 ans. En 1958,
une poignée de savants s'interrogent sur la possibilité d'atteindre le but
fixé. L'argent coule à flots mais les travaux n'avancent guère. En 1964, le
gouvernement américain commande un rapport sur le bien-fondé de la traduction
automatique. Deux ans plus tard, l'ALPAC (Automatic Language Processing
Advisory Committee) remet des conclusions qui feront date. Pour lui, la
traduction automatique est coûteuse, de qualité médiocre et sans avenir. Une
langue n'appartient qu'aux hommes. Et les machines n'y peuvent rien.
Le désintérêt pour la discipline est
immédiat. La traduction automatique est rangée au rayon des utopies. Au début
des années 80, les Japonais s'y intéressent de nouveau et l'adaptent à leurs
activités. Champions de l'exportation, ils utilisent des programmes pour
traduire leurs modes d'emploi et leurs descriptifs de produits. Plus récemment,
avec l'avènement du Web et l'utilisation des statistiques, Google revigore la
traduction automatique sans pour autant en éviter les travers.
Depuis 45 ans, nous savons qu'un
ordinateur ne peut et ne pourra jamais traduire correctement une langue dans
une autre. Malgré, parfois, l'illusion du contraire...
Nicolas Roiret
pour Translateo.
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