mardi 7 février 2012

Traduction automatique

Les promesses d'une utopie 
 
New York, le 7 janvier 1954. Le gratin du journalisme est convié dans les locaux de la société IBM pour assister à une démonstration inédite et pleine de promesses.
Initiée par le gouvernement américain, sous la houlette de l'Université de Georgetown, elle vise à prouver qu'une machine peut comprendre une langue étrangère.
Imaginez-vous une scène pour le moins vintage, où l'ordinateur à la taille d'un buffet de salon et se nourrit de cartes perforées. L'assistance retient son souffle. Devant elle, l'IBM 701, le calculateur le plus puissant du monde, traduit en anglais des formules chimiques, des théorèmes mathématiques et des citations philosophiques écrites en russe. 


 
A l'époque, l'affaire fait grand bruit et nourrit un climat d'émerveillement technologique. Beaucoup, dans cette avancée, voient le début d’une ère nouvelle, la fin des barrières linguistiques qui mènent à l'incompréhension entre les peuples.
Placée en une de tous les journaux, l'expérience révèle au grand public l'existence même des ordinateurs, ces machines semblables à des « super cerveaux », une formule médiatique qui fait mouche. Au début des années 50, le modernisme fascine car il n'a pas encore montré ses limites.
  

Dans l'ombre, la CIA et le ministère de la Défense américain partagent ce bel enthousiasme, mais pour d'autres raisons. La Guerre Froide nécessite de gros moyens en traduction. La  course  folle que se livrent l’URSS et les USA dans l'armement, la fission de l'atome et la conquête de l'espace obligent chaque camp à traduire ce que l'autre édite. L'engorgement guette.
En 1954, tous les espoirs se tournent alors vers la traduction automatique. La communauté scientifique est chargée d'achever le travail entamé jusqu'alors. Les crédits sont débloqués. Tout le monde y croit. Y compris les Russes qui, de leur côté, lancent un vaste programme pour résoudre l'énigme du langage. 

Les ingénieurs raisonnent « message à casser », ils partent du principe qu'une langue est un code.

Car c'est ainsi que le problème est posé. Comment réduire une langue à une série d'équations mathématiques, en prendre le contrôle et la faire parler. Pour cela, et dans une logique fort militaire, les ingénieurs raisonnent « message à casser ». Ils partent du principe qu'une langue est un code, complexe certes, mais un code auquel doit répondre un autre code chargé de le traduire. Cette certitude va durer 4 ans. En 1958, une poignée de savants s'interrogent sur la possibilité d'atteindre le but fixé. L'argent coule à flots mais les travaux n'avancent guère. En 1964, le gouvernement américain commande un rapport sur le bien-fondé de la traduction automatique. Deux ans plus tard, l'ALPAC (Automatic Language Processing Advisory Committee) remet des conclusions qui feront date. Pour lui, la traduction automatique est coûteuse, de qualité médiocre et sans avenir. Une langue n'appartient qu'aux hommes. Et les machines n'y peuvent rien.

Le désintérêt pour la discipline est immédiat. La traduction automatique est rangée au rayon des utopies. Au début des années 80, les Japonais s'y intéressent de nouveau et l'adaptent à leurs activités. Champions de l'exportation, ils utilisent des programmes pour traduire leurs modes d'emploi et leurs descriptifs de produits. Plus récemment, avec l'avènement du Web et l'utilisation des statistiques, Google revigore la traduction automatique sans pour autant en éviter les travers.

Depuis 45 ans, nous savons qu'un ordinateur ne peut et ne pourra jamais traduire correctement une langue dans une autre. Malgré, parfois, l'illusion du contraire...

Nicolas Roiret
pour Translateo.

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