vendredi 8 juin 2012

Njut est là


L'objet de cet article m'est venu il y a quelques jours, à l'heure du café. Comme chaque matin, l'esprit un peu embrumé, je sirotais une tasse en surfant sur le net. J'avais mis la radio et prêtais une oreille distraite à un brouhaha d'ambiance fait d'infos et de réclames.
                                                                 
Et puis, alors que j'avais les yeux rivés sur l'écran, un mot s'est incrusté dans mon conduit auditif, un mot court et inconnu, une sorte de Gremlin sonore qui revenait sans cesse : niute ! proclamait une voix féminine, jeune et nasillarde.
Agacé autant qu'intrigué, je finissais par débusquer ce « niute ». Il débutait et clôturait chaque spot publicitaire pour la marque Ikea. Or rien dans le message n'indiquait sa signification.

Pourtant, depuis la loi Toubon (1994) et sa circulaire d'application (1996),
vous pouvez employer des mots étrangers dans une publicité à condition de les traduire en français de manière parfaitement visible et/ou audible.

Pour faire respecter ces règles, il existe un gendarme, l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP), anciennement le Bureau de Vérification de la Publicité, qui passe au crible la réclame, reçoit les plaintes et délivre ses recommandations. 

Et la tâche n'est pas aisée.
Prenons un exemple : si j'utilise « low cost », « hotline », « playlist » ou « drink » dans une publicité, je dois traduire. A l'inverse, si j'emploie « smoothie », « geek », « smartphone », « buzzer » ou même « e-learning », rien ne m'y oblige ... Pourquoi  ces derniers et pas les autres ? Parce qu'ils ont été intégrés récemment dans le dictionnaire (par l'Académie Française, le Larousse ou le Robert) et qu'ils sont de fait français...

Au regard de la cible visée, c'est à dire les trentenaires, la marque fait preuve d'une originalité très consensuelle

Dans un rapport remis en 2009, l'ARPP relève déjà que tout concoure à « défranciser » les pubs. On peut s'agacer par exemple de ces spots pour des parfums de luxe où la voix off ânonne le nom de la marque et son slogan en français avec un accent anglo-saxon à couper au couteau.

Mais il y a plus embêtant. 
L'Autorité rappelle que si un slogan doit être compris et donc traduit, la marque, elle, échappe à cette obligation. 
C'est une brèche dans laquelle s'engouffrent les directeurs marketing. 
Ainsi, Afflelou propose ses lunettes Fourty (quarante) destinées aux quadras puis lance l'opération Next Year (l'année prochaine) pour signifier à sa clientèle qu'elle peut désormais différer ses paiements. Les exemples abondent de marques simples qui se déclinent en sous-marques à rallonges le plus souvent anglicisées : SFR Business Team, Signal Right Now, Dove Go Fresh, Samsung Player Style etc... On s'invente ainsi une marque-slogan très pratique : mon nom vous explique ce que je vous propose sans que j'ai à traduire. 

Mais revenons à notre « niute » initial, celui des spots Ikea. J'ai du me rendre sur le site de la marque pour en savoir plus. Son orthographe exacte est njut. D'après l'annonceur, ce petit mot suédois signifie, « profiter, vibrer, s'éclater ». Au regard de la cible visée, c'est à dire les trentenaires, le spécialiste du meuble en kit aurait pu faire preuve d'une originalité moins consensuelle et oser traduire « njut » par « kiffer ». Mais bon, dans la pub, le traducteur n'a guère son mot à dire.

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