Si je vous pose la question : la
langue façonne-t-elle notre mode de pensée ? Vous me répondez, bien
sûr ! Mais vous voilà bien embarrassé pour l'expliquer. Pendant longtemps,
les scientifiques ont admis que le langage d'un peuple dictait son comportement,
mais ils ont renoncé à en apporter la preuve, jugeant cette tâche
impossible.
Il y a six mois, fin 2011, Lera
Boroditsky (photo), chercheuse en linguistique à l'Université de Stanford
(Californie), publie une étude qui, enfin, apporte des éléments de réponse. Sa
démonstration est percutante car elle l'illustre d'exemples simples glanés aux
quatre points du globe.
Prenez les habitants de Pormpuraaw, au
nord-est de l'Australie, dans la province du Queensland. Ils parlent le thayore,
un dialecte aborigène qu'a étudié Lera Boroditsky. Pourquoi celui-là ?
En thayore, « devant » se
dit « nord », « gauche » se dit « ouest »,
« droite », « est », et « derrière »,
« sud ». Vous l'avez compris, ses locuteurs utilisent les points
cardinaux pour définir les positions dans l'espace. Cette particularité de
langage oblige chacun à se situer en permanence. Pour reconnaître sa droite de
sa gauche, je dois savoir naturellement où se trouvent le nord et le sud...
Et le résultat est là : à Pormpuraaw,
personne ne se perd jamais, ni sur terre, ni sur mer. Lera Boroditsky a prouvé
que leur sens inné de l'orientation leur permet même de retrouver leur chemin
dans des bâtiments fermés. Ici, la langue a modelé une boussole interne à ses
pratiquants...
Mais si ces aborigènes maîtrisent si
bien l'espace, qu'en est-il du temps ? Pour en avoir le cœur net, la
scientifique les a soumis à un test. Elle leur a donné des photos d'un
crocodile que l'on voit à différentes étapes de sa vie, de l’œuf dont il s'extrait
jusqu'à l'âge adulte. L'exercice consistait à remettre les images dans l'ordre
chronologique, de la plus ancienne à la plus récente.
Tous les habitants ont disposé les
photos de droite à gauche (est-ouest), considérant que tout démarre du soleil
levant...
Un peuple qui parle
une langue dont la notion de futur est absente ou floue (comme le mandarin ou
l'allemand...) devient naturellement économe.
Dans son étude, Lera Boroditsky montre
que la langue dicte notre représentation du temps et donc, notre façon
d'appréhender les événements. Les Chinois, par exemple, le conçoivent
verticalement, alors que nous, Français, nous en avons une vision horizontale.
En mandarin, le futur n'existe pas. « Je te raconterai ça demain » se
traduit par « Demain, je te raconte ».
Au pays de Confucius, le futur est au-dessus
de moi, j'avance avec lui. Dans la langue de Molière, le futur est devant moi,
j'avance vers lui... Toujours dans ce schéma de pensée, le Chinois repose sur
son passé, le Français lui tourne le dos...
Keith Chen, spécialiste en économie
comportementale à l'Université de Yale (Connecticut), enfonce le clou en
affirmant que le langage dicte notre manière d'épargner. En effet, il a observé
qu'un peuple qui parle une langue dont la notion de futur est absente ou floue
(comme le mandarin ou l'allemand...) devient naturellement économe. A
l'inverse, une langue disposant d'un futur grammaticalement construit (le
français, l'espagnol, le grec...) sera pratiquée par une communauté moins
portée sur l'épargne.
L'explication de ce phénomène est
simple : si le futur est abstrait dans ma langue, je le fonds avec le
présent. En pratique, j'induis quotidiennement le futur dans mes faits et
gestes.
Si, au contraire, je parle une langue
au futur bien structuré, j'agis au quotidien sans me soucier d'un avenir que
j'aurai à vivre plus tard, lorsqu'il sera devenu présent.
En conclusion, voilà pourquoi il est
si important d'apprendre les langues étrangères. Pas seulement pour converser
avec l'autre, mais aussi pour s'imprégner de son « âme linguistique »
et enrichir son propre système de pensée.
pour Translateo.
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