Sortie sud de Kandahar, Afghanistan, 15H30. Un véhicule de
marque Mercedes s'avance en cahotant jusqu'au check point. Un Marine, fusil
d'assaut M16 en bandoulière, adresse un signe de tête au conducteur à travers
la vitre baissée. Coup d’œil dans l'habitacle, rien de suspect. Sans dire un
mot, le militaire brandit un boîtier noir qui ressemble à un talkie-walkie. À
l'aide d'un stylet, il presse un bouton,
« Coupez le contact, sortez calmement du
véhicule ! ». Pré-enregistrés en format MP3, venus des petits hauts
parleurs, les ordres sont donnés en pachto, le dialecte local.
Depuis son invasion de l'Irak en 2001, l'armée américaine
s'est équipée d'une machine appelée Phraselator, un traducteur de phrases, qui
permet aux hommes de troupes de « communiquer » avec les civils
autochtones.
L'idée a germé dix ans plus tôt dans l'esprit d'un capitaine
de la Navy lors de l'opération Desert Storm, toujours en Irak. Basé à l'arrière
du front, à Bahreïn, le chirurgien Lee Morin, enregistre des phrases en arabe
sur son ordinateur portable pour gagner du temps avec ses patients. « Où
avez‑vous mal ? », « Souffrez vous d'allergie ? »,
« Connaissez-vous votre groupe sanguin ? ». Il peut ainsi poser
des questions simples et vitales avant de conduire un blessé au bloc
opératoire.
La guerre terminée, Morin raconte son expérience à un
ingénieur, Ace Sarich, à qui il propose de développer un appareil capable de
traduire des phrases en anglais dans une multitude de langues différentes.
Sarich contacte la DARPA (Defense Advanced Research Project
Agency), un service du Département de la Défense, chargé de la recherche et des
innovations, et obtient rapidement des fonds pour mener à bien le projet.
Même si on peut lui
reprocher sa rudesse et son manque de tact, l'appareil permet au moins de gérer
une situation de crise.
La traduction est la bête noire du Pentagone. Les conflits
en Irak et en Afghanistan ont montré que l'emploi d'interprètes sur le terrain
est délicat voire impossible. Les candidats locaux, considérés comme peu
fiables et particulièrement exposés, se font rares.
Face à un ennemi noyé dans la masse, une population hostile,
des attaques-suicides, le contact des troupes avec les civils est forcément
tendu. D'où la tentation de l'automatiser. Le Phraselator y participe. Même si
on peut lui reprocher sa rudesse et son manque de tact. (« Tout le monde
se tait ! », « Les mains contre le mur !», « Nous
allons vous fouiller ! », sont des ordres couramment donnés lors de
patrouilles), l'appareil permet au moins de gérer une situation de crise.
En 2004, après le passage du tsunami dans le Sud Est
Asiatique, il a joué un rôle important dans l'organisation des secours en
proposant 2 000 phrases différentes en hindi, thaï, indonésien, et sinhala
permettant d'obtenir rapidement des réponses à des questions comme
« Quelqu'un a t-il testé cette eau ?», « Y a t-il des personnes
manquantes dans votre famille ? » ou « Avez-vous besoin de
médicaments ?». Aux États-Unis, la police et certains hôpitaux de Los
Angeles l'utilisent à destination des latinos en détresse, souvent illégaux,
qui ne comprennent pas un mot d'anglais.
Mais si le Phraselator peut se rendre utile, il a malgré
tout ses limites et notamment en zone de conflit. La DARPA expérimente
actuellement, un nouveau système, appelé LingoLink, qui permet cette fois de
dialoguer avec une personne sans pour autant parler ou comprendre sa langue. Le
militaire dispose d'un smartphone relié à un poste de commandement où un
interprète, un vrai, traduit les propos de son interlocuteur dans une
oreillette.
Pour bien comprendre, revenons au check point à la sortie
sud de Kandahar en Afghanistan, la Mercedes stoppe devant les sacs de sable. Le
Marine s'avance, il brandit un smartphone au conducteur dont la vitre est
baissée. « D'où venez-vous ? » demande une voix en pachto dans
l'appareil, « du centre ville » répond le conducteur dans la même
langue. Dans son oreillette, le Marine entend « du centre ville » en
anglais. Ainsi peut s'engager un dialogue à trois avec traduction simultanée,
un système plus souple quoique très contraignant.
L'idéal, bien sûr, serait une machine qui fasse office de
traducteur universel, un peu comme dans Star Treck, un Graal auquel le
Pentagone n'a toujours pas renoncé. Alors que Google semble être arrivé au
summum de ce qu'il est possible de faire en matière de traduction automatique,
la DARPA dispose, en 2012, d'un budget de 15 millions de dollars pour
développer un prototype qui répond au doux nom de RATS, (Robust Automatic
Translation of Speech). La DARPA le jure, le RATS devrait être en mesure de
traduire en temps réel 98 % des mots en arabe, farsi, pachto, dari et
ourdou, et ce quelle que soit la qualité du signal émis. Il devrait, en outre,
être équipé d'un système de reconnaissance vocale, permettant ainsi de savoir
si votre interlocuteur figure sur une liste noire.
Mais de l'avis même des spécialistes, ce RATS, aussi robuste
soit-il, n'a que peu de chance d'aboutir. Rien ne pourra remplacer un
traducteur en chair et en os pour donner un sens aux hurlements d'un villageois
cédant à la panique...
pour Translateo
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