Felipe écoute le discours du maire d'un air pénétré. Dans
quelques instants, il sera marié à Véronique. Sa mère, ses deux sœurs et un
oncle sont tout spécialement venus de Santiago. Felipe est chilien, son témoin
aussi, arrivé de New York, où il travaille comme photographe.
De temps à autre, Véronique se penche à l'oreille de Felipe et lui murmure quelques mots en espagnol. Il dodeline alors de la tête tout en conservant son air grave. Enfin, les amoureux se disent « oui », les voilà unis pour la vie.
Lors des noces, fort réussies, je constate que Felipe ne
parle pas un mot de français. Et je me pose cette question : comment
peut-on se marier sans rien comprendre à ce qui est dit ?
Au regard de la loi, il aurait fallu la présence d'un
traducteur assermenté rémunéré par les époux. Mais l'officier d'état civil qui a
rencontré Felipe et Véronique quelques jours avant la cérémonie ne l'a pas jugé
nécessaire. « C'est à son bon vouloir, reconnaît Véronique, il nous a reçu
aimablement, quelques minutes, sans même vérifier que la photo du dossier
correspondait à celle de Felipe. Le fait qu'il soit chilien a grandement
facilité les choses ».
En France, chaque année, près de 40 000 mariages mixtes
(entre une personne française et un étranger) sont célébrés, soit 13% des
unions, un chiffre sans cesse en augmentation.
Si Felipe avait été chinois, iranien, zambien ou bulgare,
les choses auraient été différentes. Quelle que soit sa nationalité, l'étranger
qui souhaite se marier en France doit fournir plusieurs documents de son pays
d'origine : un acte de naissance de moins de 6 mois ainsi qu'un certificat
de coutume qui atteste que l'époux est majeur, célibataire et non placé sous
tutelle.
« La liste des
traducteurs et leurs tarifs sont disponibles sur Internet, mais gare aux
arnaques, beaucoup se proclament assermentés alors qu'ils ne le sont
pas ».
Ces papiers doivent être rédigés en français par un
traducteur assermenté auprès du Tribunal de Grande Instance. Il faut compter
une quarantaine d'euros par document. « La liste des traducteurs et leurs
tarifs sont disponibles sur Internet, mais gare aux arnaques, beaucoup se
proclament assermentés alors qu'ils ne le sont pas », explique Véronique.
Lors de l'entretien préalable obligatoire avec les futurs
époux, l'officier d'état civil peut réclamer la présence d'un traducteur si
l'un des deux ne parle pas français. Coût de l'intervention : 250 euros.
Idem pour la cérémonie. « En nous passant de tels services, nous
avons économisé 500 euros », se réjouit Véronique, « l'officier de
mairie a été sensible à deux choses : la première, c'est que je parle
couramment espagnol, et que Felipe et moi sommes donc en mesure de nous
comprendre parfaitement. La seconde, c'est que Felipe est inscrit à des cours
de français et qu'il montre ainsi son désir d'intégration ».
En réalité, l'officier d'état civil fait appel à un
traducteur lorsqu'il y a suspicion de mariage blanc ou forcé. Il peut, par
exemple, s'entretenir séparément avec les époux pour vérifier l’authenticité de
leur amour, leur demander des détails sur leur rencontre, leurs projets et
recouper leurs témoignages. En cas de doute, il peut en aviser la préfecture.
Une lourde responsabilité assumée avec plus ou moins de légèreté selon qu'il
s'agisse de telle ou telle nationalité.
Prenons le cas d'un Français qui fait la connaissance d'une
Ukrainienne sur un site de rencontres via son ordinateur. Leurs échanges se
font dans un anglais approximatif et débouchent rapidement sur un projet
d'union. Autre possibilité, une Française s'amourache d'un Dominicain lors d'un
séjour à Punta Cana, qui la rejoint à Paris muni d'un visa de tourisme en vue
d'un mariage... Quelles sont les motivations des uns et des autres ? Dans
certains cas, la présence du traducteur s'avère indispensable pour démêler le
vrai du faux. Sur les forums dédiés, des internautes s'insurgent contre ce
« délit de nationalité » et pestent contre le zèle de certains
fonctionnaires. « Demande-t-on la présence d'un traducteur pour les sourds ou les non-voyants ?»,
s'insurge l'un d'eux, un brin démagogue, sur le site russie.net, en oubliant
que cette fois, l'administration n'a qu'une idée en tête, faire triompher
l'amour...
pour Translateo