Tolède. Géographiquement, la
ville se situe pile au centre de la péninsule ibérique. Un centre de gravité
intellectuel au regard de l'Histoire avec un grand H.
En effet, c'est ici qu’à partir
du 12ème siècle, les
traducteurs juifs, musulmans et chrétiens on dressé des ponts entre les
civilisations. C'est là qu’en termes de savoir, l'Occident latin établit la
jonction avec l'Orient grec.
Sans traducteurs, il n'est point de connaissances qui circulent.
Sans traducteurs, il n'est point de connaissances qui circulent.
Pour comprendre, revenons en 1085, en Castille, à Tolède précisément. Les Berbères musulmans occupent la ville depuis plus de trois siècles lorsqu'ils en sont chassés par les croisés du roi chrétien Alphonse VI. L'Espagne, qui ne s'appelle pas encore ainsi, organise sa Reconquête, se réapproprie ses territoires, mais pas seulement. Elle entend également se doter des connaissances dont disposent les Arabes dans des domaines aussi vastes que l'algèbre, la géométrie, les mathématiques, la botanique, la météorologie, la médecine, la philosophie, les arts et la théologie. Tout ce savoir est consigné dans des parchemins, des livres, des codex laissés en vrac par l'occupant, dans les maisons, les mosquées, les bibliothèques.
Forts de leurs érudits juifs
arabophones, de leurs mozarabes (chrétiens de langue arabe) et de leurs
intellectuels issus de la noblesse locale et du haut clergé, les castillans se
lancent dans une vaste opération de
« capture » des connaissances.
Il faut traduire pour combler au plus vite le fossé qui les sépare des
musulmans depuis près de deux siècles.
En effet, les Arabes ont ouvert
depuis longtemps des Maisons de la Sagesse, dont la plus illustre est celle de
Bagdad, créée en 812 autour de l'imposante collection de livres du Calife
Haroun al-Rachid.
Dans ces collèges, astronomes,
penseurs, traducteurs, mathématiciens et théologiens de tout bord se regroupent.
Chacun profite des connaissances de l'autre pour approfondir sa spécialité.
Le
Savoir, pour quoi faire puisque Dieu, Jésus et le Saint-Esprit sont à l'origine
de tout, à commencer par notre propre existence ?
Dans l'histoire de l'Humanité,
les Arabes sont les premiers à regrouper le savoir de plusieurs civilisations.
Pour eux, le socle de ce savoir est constitué des textes de la Grèce antique.
Ils ne les ont pas seulement traduits, ils les ont également étudiés,
commentés, enrichis. Au 12ème
siècle, si l'on excepte l'Empire byzantin, ils possèdent une avance
considérable sur l'Occident dans la plupart des disciplines scientifiques. Cette ouverture au
monde s'oppose à l'obscurantisme chrétien. En Occident, l'Eglise a accaparé le
savoir, qu'elle confine dans les monastères en se gardant bien de le diffuser.
A quoi bon puisque Dieu, Jésus et le Saint-Esprit sont à l'origine de tout, à commencer
par notre propre existence ?
En 1135, l'archevêque de Tolède,
le Français Raymond de Toulouse, est chargé de faire traduire les textes
scientifiques arabes en latin. Pour cela, il nomme un traducteur en chef, l'archidiacre Dominique Gundisalvi, un
Français lui aussi, qui, problème, ne parle pas l'arabe... Gundisalvi loue
alors les services de « traducteurs adjoints » qui se composent
d'intellectuels de toutes origines et de toutes confessions. Parmi les plus
fameux, on trouve le mathématicien espagnol Jean de Séville, grâce à qui
l'Occident accède au zéro et aux maths modernes. Un peu plus tard, Gerardo di Cremona, venu d'Italie, apprend
l'arabe pour traduire de nombreux ouvrages, dont le fameux Almageste, traité
fondamental d'astronomie du savant grec Ptolémée ainsi que plusieurs œuvres
majeures du philosophe Aristote comme la Physique ou Du ciel et du monde.
Ce que certains historiens vont
appeler à tort « L'école des traducteurs de Tolède » désigne en fait
un élan généralisé de la traduction de l'arabe vers le latin classique dans
tout le nord de la péninsule ibérique. Cet élan se concentre à Tolède, mais pas
seulement. On traduit beaucoup en Galice, à Saragosse, à Barcelone.
Le plus souvent, les textes en
arabe sont d'abord traduits en latin populaire, le patois local, avant d'être
transposés en latin classique, qui devient implicitement la norme des textes scientifiques
occidentaux. Au 13ème
siècle, toujours à Tolède, le roi Alphonse X, érudit, profite de cette
« vague » de traduction pour « unifier » le stade intermédiaire entre l'arabe et le
latin classique. Il intervient lui-même dans les corrections de textes et pose
les bases de ce qui va devenir une langue moderne, parlée aujourd'hui par un
demi-milliard d'êtres humains : le castillan, autrement dit l'espagnol...
pour Translateo.